Un conte pour la nuit la plus longue : le chasseur de son qui voulait rendre ses sons

Pour terminer l’année 2024, j’ai participé à la nuit de création radiophonique organisée par Marc-Antoine Granier et Olivier Minot sur les ondes de Radio-Canut à Lyon. L’événement Ondes de nuit s’est tenu à l’occasion du soltice d’hiver et faisait suite à une première édition en 2018. Il y a cinq ans, j’avais proposé pour cette nuit rêvée une balade à l’usine de cannabis Tweed À Smiths Fall en Ontario intitulée Analyse et interprétation d’un rêve – l’or vert.

Là, pour la nuit la plus longue, j’ai décidé de raconter l’histoire d’un chasseur de son, un peu dans la même lignée que la tradition de l’ego-histoire. Plutôt que raconter une histoire d’oreille, soit mes premières expériences d’écoute quotidienne, je raconte cette fois-ci l’histoire de ma prise de parole, de mon entrée dans l’énonciation radiophonique. Je m’étends aussi sur mon rapport aux vinyles, aux échantillons sonores et au début de ma pratique de beatfaisage et de montage.

Voici ma contribution à la seconde édition d’Ondes de nuit, le 21 décembre 2024. Les autres propositions audacieuses lors de cette nuit seront relayées par ici également (accessible quelques jours seulement).

C’est l’histoire d’un chasseur de son qui voulait partager les sons qu’il avait collectés.

Et ce chasseur de son, c’est moi.

La nuit du solstice d’hiver me paraissait favorable, car c’est la nuit la plus longue de toute l’année. Je peux – enfin – prendre mon temps, reparcourir les années et partager, au-dessus des villes, les nombreux paysages sonores que j’ai dans ma besace.

De ma besace, pleine d’enregistrements sonores, sortaient aussi de longs fils.

Des fils de micros, des câbles d’alimentations et des rubans magnétiques.

J’ai tiré une fois sur le fil, j’ai joué au jeu de la bobine. Le ruban que j’ai tiré s’est mis à jouer une longue pièce ininterrompue d’une richesse polyphonique.

Il avait voyagé ce chasseur de son… et de toutes les contrées qu’il avait parcourues, la plus éloignée d’entre-elles était le passé, le pays lointain qui commence dans l’âge de la jeunesse.

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Tout ça a commencé avec une voix.

L’enregistrement se faisait sur un petit magnétophone AKAI rouge.

Le magnétophone est toujours là. Il a toutefois perdu de sa vitesse. Il a ralenti avec le temps. Et l’élocution aussi, peut-être.

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Ça s’est poursuivi avec des extraits mélodieux que j’ai captés sur des vinyles.

Je chassais des sons pour en faire des instrus, des pièces instrumentales.

Je trouvais des boucles.

Je les découpais.

Je chassais des sons dans les marchés aux puces, dans les brocantes.

Le territoire de la chasse, pour moi, c’était une caisse de lait avec des 45 et des 33 tours.

Le principe que j’avais acquis peu de temps après avoir commencé la chasse était simple : je savais que je finirai par trouver le son, en chassant patiemment.

Pour le beat faiseur, le mantra était simple : Keep digging.

Il fallait continuer de creuser dans la caisse de lait qu’on nomme des crates en anglais. On les surnomme d’ailleurs, non pas des grave diggers, des creuseurs de tombes, mais des crates diggers, des creuseurs de caisses.

Et j’avais voyagé beaucoup en creusant. Je m’étais déplacé jusque dans les Andes.

Et j’ai longtemps été incapable d’écouter la musique sans m’imaginer l’échantillonner…

J’entendais toujours, derrière, un drumkit sourd, en arrière fonds.

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Au tout début, mon voyage de chasseur de son a commencé seul dans mon sous-sol, à me mouvoir et m’émouvoir grâce aux mélodies sur des vinyles. Je quittais ce lieu grâce aux échantillons musicales mises en boucles.

Et, je continue de rencontrer une myriade, des dizaines et des dizaines de chasseurs et chasseuses de sons de partout dans le monde, dont l’une d’entre-elles exhumée par la réalisatrice Marine Vlahovic dans son documentaire Le Souffle de Beyrouth.

Au fils des années, j’avais collecté tant d’enregistrement sonores que je sentais le besoin de les partager.

Ici et là, sur les ondes radiophoniques, au-dessus des villes.

À mon tour, je veux continuer, sans interruption, la transmission hertzienne de ces paysages sonores.

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La radio était arrivée dans ma vie… assez tôt, en tant qu’auditeur. Et ma carrière de chasseur de son, ma seule véritable carrière, a commencée timidement avec une enquête sociologique en 2007.

Ce fut d’abord la découverte de la Librairie anarchiste La Page Noire dans la ville de Québec.

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Ensuite de cela, il y a eu l’implication à la radio, en faisant la mise en ondes de différentes émissions à la station qui s’appelle CKIA Radio Basse-Ville.

Et il y a eu, pendant quelques années, l’émission Cultivons notre Hip-hop. Ça a commencé en 2009 avec des amis et un instrumental de nul autre que Madlib.

Et, petit à petit, j’apprenais à parler en ondes….et je commençais à faire des entretiens, à collecter des témoignages sans trop le savoir.

Et j’ai invité le rapper Ali Ndiaye, Webster, à nous présenter le texte Québec History X a capella.

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Je suis devenu, peu à peu, un chasseur de son, en tant qu’étudiant en sociologie. En 2011 et 2012, j’ai eu la chance de passé une année complète dans la France orientale, en Alsace. Là-bas j’ai mené une enquête sur l’auto-stop et je continuais de manipuler le microphone.

J’avais écrit un mémoire de licence à ce sujet en croisant Marcel Mauss sur le don et Georg Simmel sur la réciprocité.

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Et, à cette période, pendant mes premiers mois en Europe, je suis allé me promener dans les rues et les canaux d’Amsterdam. Là-bas, j’ai été détourné du trajet touristique typique de coffeeshop en coffeeshop. C’était en octobre 2011 et le monde entier vibrait d’une expérience collective de démocratie directe.

Après Wall Street, c’était le mouvement Occupy Amsterdam.

L’événement Occupy Amsterdam a eu lieu à la Place de la Bourse, Beursplein, et j’étais de passage là-bas du 21 au 24 octobre 2011 pour vivre les manifestations et quelques nuits froids dans les abris de fortune (voir d’autres photos).

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À mon retour au Québec, je suis tout de suite retourné à la radio CKIA Radio Basse-Ville, qui avait traversée une crise sans précédent.

L’année d’après, en 2014, la station allait célébrer son 30e anniversaire. Pour avoir été formé en elle, vécu le moment où elle a périclité, je ne pouvais qu’être convaincu de la valeur de cette institution et de l’importance de raconter à nouveau les tribulations qu’elle avait traversées au fil du temps.

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À ce moment-là, je commençais à connaître davantage une complice de radio, Marie-Laurence Rancourt. Elle avait initié une journée d’étude sur la radio à laquelle j’avais également collaboré.

Et j’avais été étonné de la qualité de son documentaire radiophonique sur l’état de la radio en Europe – Peut-être ils avaient c’était quoi la radio (2014).

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C’est à ce moment, je crois, que j’ai eu la piqure des archives radiophoniques, la piqure de la radio…pour reprendre une image que Michel Trahan, l’animateur de LS-Radio, une initiative emblématique des années 1970, m’avait mentionné au téléphone…

J’ai eu la piqure à ce moment, moment où j’ai également présenté la série Faire parler 30 ans de différence, en 2014-2015, ce qui fait maintenant dix ans.

Cette vie de chasseur de son avait commencé, pour moi, par creuser dans des caisses de vinyles pour trouver des mélodies (voir d’autres sons).

Ensuite de cela, ma deuxième et véritable vie de chasseur de sons et de témoignages s’est réalisé à la radio, dans le cadre d’enquêtes, de documentaires, de créations.

Et, enfin, ma dernière vie de chasseur, à titre de prospecteur d’archives, c’est de découvrir des lieux où se trouvent les archives radiophoniques. Et de parler de ces lieux là, des producteurs et productrices de ces archives.

Trois vies distinctes : Creuseur de caisse, chasseur de son, prospecteur d’archives.

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Je ne serai pas là aujourd’hui, à creuser, à chasser, à prospecter, pendant une nuit complète, la nuit la plus longue de l’année…

Si des personnes aujourd’hui signifiantes ne m’avaient pas, généreusement, donné leur parole,

Si je n’avais pas appris, avec une certaine disposition d’esprit, à recevoir cette parole des autres, à l’écouter.

Si je suis là aujourd’hui, à creuser, à chasser, à prospecter, pendant une nuit complète, la nuit la plus longue de l’année… c’est que je voulais redonner aux autres, aux radionautes, ces sons, ces archives – cette parole qui m’a été donnée.

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