[chronique] Des événements qui remuent les mémoires

Cette deuxième chronique a été présentée le 7 juin 2024 à l’émission Québec Réveille, animée par Philippe Arseneault sur les ondes de 88,3, CKIA-FM Radio Basse-Ville. Elle sera présentée un vendredi matin sur deux.

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Notre quotidien est rythmé par des événements. Et certains de ces événements sont des événements historiques.

Il n’y a qu’à ouvrir le journal Le Devoir de cette semaine. On parle du jour J, le 80e anniversaire du débarquement sur la plage de Normandie, le 6 juin 1944. Il était question du 35e anniversaire des événements à la place Tian’anmen, d’un mouvement étudiant à Pékin qui a été réprimé de manière atroce, le 4 juin 1989. Ce fut également le 250e de l’Acte du Québec, un événement déterminant pour la reconnaissant de l’identité québécoise. Et le 20e anniversaire d’une émission phare à CKIA, l’émission Qulture de Julie Rhéaume.

On commémore en société pour bien des raisons, pour se souvenir et sans douter éviter de reproduire bêtement le passé.

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De ce quotidien rythmé par des événements, certains de ceux-ci sont passés, devenus historiques, d’autres événements sont actuels – des événements produits au présent pour se souvenir, pour remuer la mémoire.

En Amérique du Nord, juin a été nommé le mois national de l’histoire autochtone. La Librairie Pantoute nous le rappelle d’ailleurs – en juin : je lis autochtone.

Des associations nord-américaines se sont organisées aussi pour faire de juin le mois de la Fierté des identités sexuelles, une façon de souvenir des événements de Stonewall et l’importance de la répression policière dans un bar gay newyorkais en juin 1969.

Proclamer ainsi un mois ou, encore une journée, permet d’attirer l’attention sur un sujet d’intérêt public et peut interpeller quelques personnes à y penser, ne serait-ce que pendant quelques minutes.

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Cette semaine, c’est la semaine des archives selon une organisation, le Conseil International des Archives. C’est une façon de valoriser les documents d’archives, de leur refaire une place dans notre quotidien. La dernière fois que j’ai fait une chronique, j’ai présenté des notes sur les institutions, les crises et les destructeurs d’archives. J’ai mentionné à ce moment-là que le plus grand destructeur d’archive, à mon sens, c’est l’indifférence.

Pour lutter contre ce destructeur, un ancien collègue et camarade, le regretté Jean-Philippe Legois, avait justement imaginé une émission à Radio Campus Paris, elle s’appelait Remue-mémoires.

Si Jean-Philippe a fait ça, avec sa complice de tout temps, Ioanna Kasapi, à l’occasion d’une date symbolique -le 22 mars 1968- et à propos des archives des mouvements étudiants, je propose de le faire, petit à petit, avec d’autres, en lien avec les archives des radios communautaires et universitaires – à commencer par CKIA Radio Basse-Ville.

J’aimerais reprendre, à relais, c’est à mon tour, la chronique remue-mémoires.

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Des événements qui remuent les mémoires.

Mon quotidien est rythmé d’événements, de rencontres, d’articles que je lis dans les journaux, des prises de parole que j’entends à la radio, d’événements de pensée de toutes sortes qui surgissent en marchant.

Depuis un moment, ce quotidien est rythmé par la radio. Je n’ai pas fait de la radio ma profession. J’ai choisi d’en faire un objet de recherche.

Il y a de ces événements qui se produisent et qui remuent les mémoires.

Il y a un peu plus de dix jours, dimanche le 26 mai dernier. Je réussis à revoir Marcel Arteau, un des membres fondateurs de Radio Basse-Ville. L’objet de la rencontre, littéralement, la remise d’un objet, une cassette.

Depuis le mois de janvier 2022, Marcel m’avait indiqué qu’il avait retrouvé cette cassette, en vidant ses classeurs.

L’événement déclencheur de tout cela : un déménagement. En janvier 2022, dans les préparatifs pour son déménagement, il décide d’appeler à la station.

J’ai été à sa rencontre pour collecter ses archives, conduire un entretien et récolter son témoignage. Il me dit que par son don, il fait une contribution à la station et au milieu communautaire de Québec.

En janvier 2022, j’étais ressortie de chez lui avec un sac d’épicerie plein de documents, avec quelques macarons à l’effigie de Radio Basse-Ville dans le fond du sac et un long entretien sur mon magnétophone. Deux ans plus tard, je ressortais de là avec une conversation tonique et une cassette sur laquelle il est inscrit Radio Basse-Ville 27-03-2000.

Je dépose cette cassette dans ma sacoche et marche vers Limoilou. J’arrive sur la 3e avenue, entre dans un café et qui est-ce que j’aperçois au loin, Ernst Caze, un ancien directeur général de la station et metteur en onde de l’émission Ptit Kay. Il pianote tranquillement un dimanche après-midi sur son ordinateur.

Un document est ouvert devant lui : « Le développement positif de l’identité de genre chez les jeunes adultes trans et non-binaires du Québec ». C’est son mémoire en travail social qu’il s’applique à transformer en article.

La dernière fois qu’on s’est vu… on se demande, on cherche, ah oui : nous étions allées faire un entretien avec une ancienne directrice générale de la radio. On parle d’elle, de l’état de santé d’Andrée, Andrée Pomerleau, comme si on parlait d’un membre de la famille.

Je me demande où est l’enregistrement de cette conversation. Ernst me rappelle que je lui ai envoyé et je me remémore ce moment, c’était jour pour jour il y a trois ans, comme il est inscrit dans le titre du fichier, le 26 mai 2021.

Attendant mon café, je croise un producteur bénévole de CKRL, Jean-Sébastien Grondin. Après l’avoir salué, car nous nous sommes croisés dans des radiothons et au 50e anniversaire de CKRL, je lui dis que j’ai aperçu son nom dans des listes d’animateur de CKIA au début des années 2000. C’est comme si son nom avait remonté avec l’inondation de notre sous-sol, comme la lie d’un breuvage faite de levures qui remontent.

J’entre chez moi tranquillement en passant par le Jardin Saint-Roch, quelque chose me pousse à rester à l’extérieur tellement il fait beau. Et j’aperçois de loin une jeune femme qui était impliqué à CKIA, à l’époque de la Côte d’Abraham. Je me souviens qu’elle avait déjà fait un kiosque au cégep Limoilou pour inviter le monde à faire de la radio. Éliane, elle animait une émission musicale – je me rappelle – portant les mots « boule de gomme » dans le titre.

J’arrive chez moi par ce beau dimanche et je fais le compte : j’ai croisé aujourd’hui 4 personnes liées à cette communauté-là, à la radio communautaire à Québec. Je sors la cassette de ma sacoche et je fini par l’écouter.

J’ignore qui pose les questions, quel est le contexte et si la date du 27 mars 2000 inscrite sur le boitier est bien celle de l’enregistrement.

Je reconnais bien distinctement la voix d’Andrée Pomerleau. Elle a mentionné clairement que « Si Radio Basse-Ville était pu deboute aujourd’hui pour demain…. T’aurais une gang de monde qui se retrouverait désœuvrer… et elle aborde les questions de l’isolement, de la désintégration.

Il y a, comme cela, de ces événements que l’on provoque, d’autres qui se produisent, et ainsi des archives resurgissent et remuent les mémoires.

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