Le 29 janvier est une date qui revêt plus d’une signification

Cette date marque l’anniversaire d’une amie. Elle est aussi la journée où la station de radio de l’Université Laval CHYZ est entrée sur les ondes publiques en 1997. Et le 29 janvier est aussi marqué à jamais par l’attentat à la Grande Mosquée de Québec en 2017.

La journée du 29 janvier est alors un événement pour différentes communautés.

Une amie est fêtée par sa famille et ses proches. L’avènement d’une station de radio universitaire est célébré par une communauté d’auditeurs, de producteurs et de productrices. Et l’événement tragique est commémoré – pour que jamais nous ne l’oublions – par la communauté arabo-musulmane ainsi que des citoyens et citoyennes de la ville de Québec.

De mon point de vue, ces trois événements du 29 janvier se recroisent à plus d’une reprise.

Le 30 novembre 2021, au tout début de mes recherches dans les archives de la radio CHYZ, je me rends dans l’entrepôt qui est adjacent au studio, à côté du local 0236. Là-bas, après avoir constaté le bazar et le fait que les archives d’Impact Campus et de CHYZ sont mélangées, je me surprends à découvrir un autre ensemble documentaire, soit les documents d’archives du Bureau de la vie étudiante (BVE).

Entrepôt de CHYZ, Pavillon Maurice-Pollack, 30 novembre 2021

Je réalise qu’il y a plus d’une dizaine de dossiers d’associations étudiantes qui sont rassemblés dans une boite, comme celle d’une association chrétienne Maranatha dont j’ignorais l’existence. Je cherche à comprendre comment on explique que tous ces dossiers se retrouvent là ? Est-ce lié à l’incendie de mars 2011 qui a amené la radio à se déplacer ? Est-ce que cela a pu avoir un effet sur les documents d’archives de l’époque ? Peu importe pour le moment.

Je continue de compulser les dossiers et je m’étonne cette fois d’ouvrir celui de l’Association des étudiants musulmans de l’Université Laval. Il y a dans le dossier un exemplaire de la revue des musulmans de Québec de septembre-octobre 1982 et un document relatant les activités de l’association qui est signé par son secrétaire, monsieur Boufeldja Benabdallah. Le document en main, dans l’entrepôt où sont conservés les archives de CHYZ, je suis saisi d’émoi en lisant le nom du fondateur du Centre culturel islamique. Je me réjouis de retrouver ainsi des traces de sa présence et de son implication à l’Université Laval. Et surtout, je suis ému qu’il y ait par un hasardeux rapprochement de différents ensembles documentaires, un rapprochement qui témoigne de l’histoire contemporaine de la ville de Québec.

À ce moment, je me mets à penser à Monsieur Benabdallah, à la figure importante qu’il incarne pour la communauté arabo-musulmane de Québec. Je me souviens du témoignage de ce dernier dans les jours qui ont suivi le 29 janvier 2017. Il portait la parole de sa communauté et des familles des victimes – Ibrahima Barry, Mamadou Tanau Barry, Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Azzedine Soufiane, Aboubaker Thabti.

Mon amie, qui est née le 29 janvier, m’avait aussi parlé de Monsieur Benabdallah, puisqu’elle l’avait côtoyé lors du procès à la Cour suprême du Canada du tueur de la Grande Mosquée de Québec. Dans le cadre de ses recherches, elle a assisté à la presque totalité des séances du procès qui a commencé en mars 2018 et dont la saga judiciaire s’est finalement terminée avec l’appel sur la peine en mars 2022. Le compte-rendu des observations ethnographiques de mon amie était peut-être une des raisons qui explique l’émoi qui m’a saisi en consultant ce dossier.

Il y a quelques jours à peine, j’ai ressorti un document de cet entrepôt pour souligner le 25e anniversaire de CHYZ. Dans un document élaboré en vue d’obtenir une licence de diffusion MF, on peut lire un argumentaire justifiant la raison d’être d’une radio de campus FM. Les auteurs du document, Patrick Robitaille et Dominique Roy, affirmaient que cette radio devait « Favoriser le développement de la vie étudiante sur le campus » et « Favoriser les liens entre les étudiants de milieux différents ». Et plus précisément, « […] la radio se voudrait un moyen de rapprochement entre les différentes ethnies présentes sur le campus et les étudiants québécois afin d’arriver à une compréhension entre les peuples. De plus, tout en leur offrant un moyen supplémentaire d’intégration à la vie nord-américaine, nous pouvons apprendre beaucoup sur le mode de vie et de pensée de ces étudiants étrangers, ce qui est parfois très intéressant ». J’ai mentionné brièvement cet aspect qui m’apparaît très important dans ce contexte et j’ai pris le soin de lire une autre section de ce document à la page suivante qui s’intitule : « Amener un changement dans le portrait FM de Québec ». J’ai relayé un extrait où les auteurs du document se commettent sur le climat radiophonique local et sur le rôle de la station. Ils concluent leur propos ainsi : « Nous pouvons devenir l’air frais qui purifierait les ondes de Québec… ».

À l’occasion de la 6e commémoration qui se tenait au Centre Culturel Islamique de Québec, maintes activités ont lieu lors des journées portes ouvertes, dont la projection du documentaire Ta dernière marche dans la Mosquée. Ce documentaire, réalisé par un organisme communautaire musulman de Toronto, donne la parole à plusieurs témoins et survivant·e·s du 29 janvier. Les images filmées inscrivent bien les événements dans la ville de Québec, en montrant les chutes Montmorency et l’hôtel de ville de Québec. Certaines images plus choquantes sont aussi diffusées, comme le tapis vert de la Mosquée maculé de sang.

Lors de la projection à laquelle j’ai assisté, des enfants des victimes étaient présents. Certains semblaient encore bien accablés, dont une jeune femme, larmes aux yeux, qui s’est redressée au moment où était présenté son propre témoignage dans le documentaire.

À une table à côté de celle avec des gâteaux et du thé, il y avait des carrés verts avec une épingle, non pas en lien avec « l’augmentation des frais de scolarité » m’a dit le jeune homme du Conseil national des musulmans Canadiens, mais bien des carrés verts comme un symbole pour rappeler la couleur du tapis de la Mosquée, pour conserver ces événements en mémoire.

Extrait du documentaire Ta dernière marche dans la Mosquée

À la moitié du documentaire, à la question comment est-ce que vous expliquez qu’un tel drame soit arrivé, le premier témoin n’est pas en mesure de trouver une explication, ignorant comment cela a pu se passer à Québec. Un autre témoin est plus lucide sur la question : ils évoquent les discours islamophobes, d’extrême-droite, de fascisme. Un autre membre de la communauté mentionne explicitement que ce drame s’est produit, selon lui, en raison « des médias qui cultivent la haine et l’islamophobie ».

Le 29 janvier est peut être la journée où il est nécessaire de rappeler que le livre Les Brutes et la punaise : les radios-poubelles, la liberté d’expression et le commerce des injures de Dominique Payette, récompensé par le prix des Libraires en 2020, commence avec un chapitre intitulé « l’Attentat de la mosquée » dans lequel sont cités d’anciens animateurs de Radio X (CHOI-FM) et du FM93 (CJMF-FM).

Cette date est également l’occasion pour souligner la venue au monde d’un projet radiophonique qui est fondé sur un idéal de rapprochement entre cultures, de compréhension avec d’autres modes de vie et de pensée.

Les gestes de commémoration, la remise en circulation de témoignages, tout cela semble nécessaire pour continuer de faire société, et ce, tant et aussi longtemps qu’il le faudra.

Il y a de ces dates qui deviennent des événements.

Et en regard de tels événements, cela appel à une responsabilité individuelle et collective, autant pour contribuer aux processus d’intégration de nouveaux citoyens et citoyennes de la ville de Québec, de veille quant aux discours dans l’espace public que de la commémoration de cette journée.

En cette journée du 29 janvier, avec ce message, je veux adresser mes vœux d’anniversaire et de solidarité à mon amie, à la radio de CHYZ, et mentionner que mes pensées sont tournées vers la communauté arabo-musulmane de la ville de Québec ainsi que les survivant·e·s.

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