La critique de l’espace médiatique, en provenance de l’art, la recherche et la parole citoyenne ou anonyme.
Hier, je croise Hubert Lenoir sur la rue Saint-Joseph, focus avec ses écouteurs sur la tête. Et je me suis mis à penser à Safia Nolin qui présente, une dernière fois ce soir, le spectacle Surveillée et punie au théâtre Prospero dans le cadre du FTA – spectacle à guichets fermés où j’aurais bien voulu aller –dans lequel elle met en scène les insultes et commentaires désobligeants à son égard. Dans un article du Devoir de la semaine passée, elle confiait d’ailleurs ceci à la journaliste : « Jamais j’aurais pensé que toutes ces cochonneries-là, que j’avais archivées dans mon ordinateur sans trop savoir pourquoi, serviraient à créer un projet artistique un jour ».
Ces deux artistes de Québec ont tous deux décrié dans leur œuvre la haine véhiculée par des animateurs de la polémique Radio X, cette radio qui se targuait encore hier de compter parmi les stations les plus écoutées du marché de Québec selon les données révélées par Numéris. Je fais d’ailleurs référence à leur propos dans un article, cette fois-ci en français, intitulé « Radiodiffusion, activisme et rediffusion d’archives radiophoniques. Le travail de la Coalition sortons les radios-poubelles dans la ville de Québec ».
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Si, en début de semaine, la chroniqueuse du journal Le Soleil Valérie Gaudreau s’indignait que la grève des employés des bibliothèques de Québec perdure depuis trois mois, je peux à mon tour reprendre ses mots et m’insurger d’une situation entourant les propriétaires de cette station qui tente coûte que coûte d’identifier les activistes anonymes de ce groupe clandestin : Jamais je ne pensais écrire un texte sur le fait qu’une poursuite judiciaire entourant la Coalition sortons les radios-poubelles dure depuis trois ans. Et pourtant. Et pourtant, le début de cette saga a commencé en juin 2021.
Lenoir, Nolin, et moi-même aux côtés de journalistes invétérés avons tenté, chacun à notre manière, d’attirer l’attention sur ces excès en matière de liberté d’expression, sur cette culture toxique consistant à véhiculer des propos haineux sur les ondes radiophoniques.
Ce qui ne va pas dans l’acharnement judiciaire de cette entreprise de radiodiffusion est peut-être son aveuglement volontaire à l’égard de la culture, du sort de la culture disait le sociologue Fernand Dumont, dans une société démocratique.
« Il y a un examen de conscience qui n’a pas été fait de la profession journalistique et aussi des entreprises médiatiques », tel est le constat d’une dame de l’auditoire à la table-ronde « Confusion des genres journalistiques », sur la différence entre la chronique, l’éditorial, l’analyse et le reportage, organisée la semaine passée par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ).
À cette discussion, tantôt passionnante, tantôt un peu trop convenue, étaient invités Alain Laforest, Yannick Marceau et Valérie Gaudreau. La question de fond soulevée au fil des discussions par l’animatrice du panel Léa Martin était la suivante : comment tracer la ligne entre l’opinion et l’information ?
Tour à tour, les panélistes ont répété un certain mantra, celui de l’importance de « l’honnêteté » du chroniqueur par rapport aux faits. Cela a été ressassé, mais sans plus. Un des panélistes, Yannick Marceau, a répété que « les patrons doivent recadrer », qu’ils « doivent intervenir » pour « faire du recadrage » lorsqu’il y a des excès d’un animateur.
À ce moment là, je n’avais à l’esprit que le texte « La responsabilité de la culture » du philosophe et ancien chroniqueur à Radio-Canada Georges Leroux. Dans ce texte publié en 1996 dans la revue Fréquence/Frequency, ce dernier posait la question suivante : « de quelle culture voudrons-nous être responsables quand nous accepterons des tâches d’animation ? ». En pensant à ce spécialiste de la philosophie ancienne et traducteur de Platon, je réfléchissais à l’excès, à la démesure, avec la notion grecque d’hubris ainsi qu’à la racine du mot autonomie – autos nomos – qui signifie cette capacité de se donner à soi-même sa propre loi, sa propre règle.
Est-ce que la responsabilité de la culture ne revient pas avant tout à la personne qui produit de l’information ou des chroniques, plutôt qu’aux dirigeants ?
Leroux précisait sa pensée comme suit : « Nous devrons prendre des décisions qui auront un effet sur l’orientation de la culture, sur l’information et sur la création elle-même. Les attentes de notre société demeurent encore très exigeantes à l’endroit de la culture, dans la mesure où nous pensons pouvoir nous définir comme une société de culture, une société qui trouve sa définition et son identité dans cette culture ».
De cette table-ronde sur la confusion des genres, je me souviendrai de la prise de parole de cette dame qui parlait on ne peut plus précisément de la « crise des médias », qui « ont une importance extrême » et qui font sans cesse de « l’information spectacle ».
À cet événement, celle qui a parlé vrai, c’est cette dame qui s’est présentée comme une no-body. Plutôt que de ressasser la coquille vide de l’honnêteté, elle a nommé « l’éthique journalistique » et insisté sur le nécessaire examen de conscience des médias pour sortir du sensationnalisme.
Les critiques en provenance de l’art, de la recherche académique et de la parole citoyenne ou anonyme ne viendront sans doute pas à bout des problèmes de l’économie des médias qui carburent au nombre de clics et à l’information spectacle. Il y a toutefois là un signe d’ouverture pour un tribunal de la raison médiatique, pour un examen de conscience à faire.
Sur la responsabilité de l’animateur, Georges Leroux mentionnait dans le texte cité ci-dessus que « le règne du mercantilisme le place [l’animateur] en effet en position soit de divertir purement et simplement, et pour satisfaire les cotes d’écoute, il devient un clown de service, chargé de mettre en valeur d’autres clowns. Il ne relais aucune inquiétude, aucun questionnement, il assume le mandat d’un autre que le public. Ceci explique comment l’animateur de l’avenir, s’il désire résister à cette volonté de la commande, a pour tâche d’imposer une subjectivité, la sienne, dans un procès de communication menacé par l’anonymat des technologies, par l’envahissement de l’uniformité impersonnelle, par les absurdités du divertissement ».
Je renvoie pour ma part à une analyse de la pratique de rediffusion d’archives radiophoniques, à une réflexion sur l’activisme médiatique et archivistique dans la ville de Québec. Cette analyse a été élaborée dans le cadre du 9e symposium du GIRA (Groupe interdisciplinaire de recherche en archivistique) ayant pour thème Retour et détour autour de la diffusion, tenu le 24 mars 2023 à l’Université de Montréal. Il est possible de consulter l’ensemble des contributions à l’adresse suivante.
Cette contribution est téléchargeable via le lien ci-dessous.