« Bonne journée de la liberté de presse », c’est le titre de la chronique de Pierre Trudel.
C’est aujourd’hui, le 3 mai, que des activités sont organisées depuis maintenant trente ans pour souligner que la liberté de presse est « la clef de voûte de tous les droits de la personne ». Proclamer ainsi une journée internationale permet d’attirer l’attention sur un sujet d’intérêt public et peut ainsi interpeller quelques personnes à y penser, ne serait-ce que pendant quelques minutes.
Aujourd’hui, c’est aussi le jour où j’ai réalisé un entretien avec Evelyne Foy, une des membres fondatrices et la première secrétaire générale de L’Assemblée mondiale des artisans de la radio (AMARC) qui est aussi nommée L’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires. Cette association bientôt quarantenaire a travaillé au Québec comme sur les autres continents à promouvoir une radio de type communautaire qui favorise la participation de la communauté dans la production et la diffusion de l’information. Comme l’indique un de leur document : « ses membres croient en la nécessité d’instaurer un nouvel ordre mondial de l’information […] ». C’est dire leur conviction en la matière.
Ce fut difficile pour moi de préparer cet entretien sans penser à la chronique de Pierre Trudel, ce professeur à la faculté de droit de l’UdeM, dans laquelle il indique que nous avons « des réflexes à cultiver » pour renforcer la liberté d’expression et de la presse.
L’idée de la liberté de presse, s’il convient de la raisonner ou de la faire résonner quelques minutes en cette journée, continue d’être d’actualité, que l’on pense à la situation des journalistes dans la Russie de Vladimir Poutine, la Hongrie de Viktor Orbán ou le Brésil à l’époque de Jair Bolsonaro. En s’appuyant sur les constats de Reporters sans frontières, on pourrait dérouler une longue liste d’exemples de propagande ou de désinformation, de Pékin, Kathoum, ou, plus près de chez nous, dans la société américaine. Si les causes de cette crise sont multiples, elle s’explique dans plusieurs cas par des démagogues populistes qui opèrent en falsifiant l’histoire et en fabriquant de l’opinion – Chomsky nomme ce fameux mécanisme la fabrique du consentement.
Cette idée de liberté de la presse a traversé l’AMARC au cours des dernières décennies, en tant qu’interlocuteur sur la scène internationale et dans le domaine des communications. À travers son réseau de solidarité, L’AMARC s’est prononcé dans plusieurs cas du Mali au Guatemala où l’État a tenté de s’en prendre à des radiodiffuseurs communautaires. Il y a des traces de cela dans les trois boites d’archives qu’Evelyne Foy m’a transmises.
La liberté de presse est également en crise à cause d’un certain modèle économique des médias qui rallie un auditoire et génère du profit, de la plus-value, en diffusant des propos diffamatoires ou de fausses nouvelles. Il n’y a pas besoin d’aller chercher des illustrations de ce modèle d’affaires aussi loin qu’aux États-Unis avec Fox News ou Breitbart News, car le phénomène se passe aussi dans la ville de Québec.
J’ai redécouvert cette idée, exprimée on ne peut plus clairement, dans l’ouvrage L’espace médiatique. Les communications à l’épreuve de la démocratie du professeur de communication Michel Sénécal. Cet ouvrage, marqué d’une dédicace, était dans l’une des boîtes.
Sans prendre de détour, Sénécal entre dans cette idée, il y rentre dedans, en la déconstruisant :
« Peu importe dès lors qu’on dise liberté d’expression ou liberté de presse, tout rime désormais avec liberté d’entreprises, liberté indispensable, dit-on à la production et à la diffusion de l’information. Du pouvoir de l’État dont elle veut s’affranchir et en regard duquel elle définit les conditions de sa liberté, la presse passe au contrôle économique qui va désormais la modeler à ses impératifs industriels et commerciaux. » (1995, p. 27)
Sénécal présente ainsi, avec un bref retour historique, comment les notions de liberté d’expression et de liberté de presse se sont développées dans la démocratie libérale. La liberté de presse ira de pair, indique-t-il, avec la montée au pouvoir de la bourgeoisie et, peu à peu, la liberté d’expression, cet « instrument de la lutte du citoyen contre le pouvoir », deviendra « l’apanage de ceux qui ont les moyens de l’exercer ».
C’est dans ce contexte qu’il devient important de penser à la liberté de presse, la possibilité de pouvoir rendre compte, comme Pierre Trudel l’indique, des iniquités, des injustices et des escroqueries. Il faut le répéter : il n’est donné en tout temps et en tout lieu de pouvoir parler dans l’espace public sans se faire bâillonner. Dans sa chronique, Trudel indique que « [p]our contribuer au renforcement de la liberté d’expression et de la presse, il importe plus que jamais de combattre les réflexes qui contribuent à l’affaiblir ».
Ce vocabulaire agonistique, de la lutte pour une liberté, m’évoque le ton d’Alain Saulnier dans Les barbares numériques dans lequel ce dernier conclut que nous devons « participer activement au combat extrême du XXIe siècle entre l’information et la désinformation dans l’espace numérique ».
Dans les documents d’Evelyne, j’ai retrouvé quelque chose qui faisait aussi écho à cela : la Déclaration de Bamako sur le pluralisme radiophonique. Après avoir présenté une série de considérants, les participants à ce colloque font plusieurs déclarations, dont la suivante :
« 11. Le pluralisme radiophonique ne saurait être efficacement garanti sans l’active vigilance de l’ensemble des citoyens, et de groupes de pression spécialement créés à cet effet » (Déclaration de Bamako sur le pluralisme radiophonique, 14-18 septembre 1993)
Ces trois citations se sont réunies d’elles-mêmes, en un bouquet au cours de la cueillette : en lisant la chronique de Trudel, cela m’a évoqué le passage de Saulnier et, préparant mon entretien, j’ai été saisi par cette Déclaration de Bamako sur le pluralisme radiophonique.
Pierre Trudel cite le juriste Xavier Bioy, selon lequel « Le droit de s’exprimer et le droit de recevoir de l’information conditionnent toute vie sociale et politique ». Inversement, les entraves à la libre expression et une information de qualité conditionnent tout autant les enjeux sociaux locaux et leurs interprétations. Penser la liberté de presse, c’est alors penser à la liberté d’entreprise et à la justice. Et cela implique de reconnaître la liberté d’expression comme un « instrument de la lutte du citoyen contre le pouvoir ». Cette idée a été au cœur des activités de L’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires pendant près de quatre décennies. Elle a aussi été au centre des activités de la Coalition sortons les radios-poubelles lors des dix dernières années. Impossible pour moi de dire « Bonne journée de la liberté de presse » sans rappeler ce combat pour assainir les ondes de la ville de Québec.