[chronique] Un souffle, un pneuma, entre documents et vinyles, dans une ville.

Voici la chronique Remue-mémoires présentée le 4 décembre 2025 à l’émission Québec Réveille, animée par Rémi Giguère et mise en ondes par Marc-André Dubé sur les ondes du 88,3, CKIA-FM Radio Basse-Ville.

*          *

Croulant sous le poids

Entre quatre murs de caisse de vinyles

Et un plancher recouvert de paperasse,

Je saute d’un document à l’autre,

Je ne cède pas,

Je reste en équilibre.

Décembre, un nouveau mois. Aujourd’hui, une nouvelle journée. Je ne cède pas.

La pression augmente autour d’moi

J’ai plus d’air

Disent Akhénaton et Busta Flex

Besoin d’espace vital

Je ne cède pas. Et je reviens là où je suis, un souffle à la fois.

Je me réveille aujourd’hui, encore enseveli.

J’écoute en plein champ, une pièce de Jocelyn Robert

Je suis là où je suis,

Là où j’inspire et j’expire.

Entre deux souffles

Mon identité s’abolit et se relève.

Là où je suis, encore enseveli dans un quotidien où je préfèrerai de loin m’endimancher du lundi au vendredi, m’endimancher, rester dans les habits du dimanche, à être simplement…

Je suis encore enseveli dans une liste de chose à faire.

Et encore enseveli dans une tonne de documents, de vinyles, de choses.

Bon, celui-ci. Gino Vannelli.

C’est bon, it’s a crazy life, Gino Vanneli, un Québécois, eh bien, j’ai ça moi.

*          *

Je croule sous le poids et ma seule façon de ne pas céder, c’est de faire de la place, faire de la place à l’extérieur, pour me faire de la place à l’intérieur.

Okay, je sors des vinyles de chez nous. Je vais sortir une caisse de lait de vinyles par mois. Oui, c’est possible.

The styx, Genesis, Vangelis, ZZ top, Edith Butler, okay.

Bon, y a cette pile-ci dont l’extrémité des vinyles est courbée.

Intéressant cette petite boucle, au début.

Bon, le vinyle est scrape.

C’est bon, je sors Diane Dufresne de la maison.

Je respire tranquillement.

Une chose à la fois, un vinyle à la fois.

Je ne cède pas.

Et je reviens là où je suis,

Un souffle à la fois.

Dans les différentes caisses de lait, entre les pochettes de vinyles, il y a aussi des documents, des revues, À Babord, Droits et libertés, L’Idiot utile, des articles du Devoir, des fanzineset d’autres documents qui prennent la poussière.

Je plonge ma main dans une caisse de lait, comme dans une marmite et j’en ressors un livre avec un document entre deux pages. Je lis le titre du livre, L’herméneutique du sujet de Michel Foucault, et le document imprimé s’intitule L’évolution de la doctrine du pneuma du stoïcisme à Saint-Augustin de Gérard Verbeke.

Qu’est-ce c’est ça?

« Vue panoramique des principales doctrines qui ont été rattachées au pneuma par les penseurs de l’antiquité ». « Évolution de la pneumatologie ancienne ».

Ah oui, je me rappelle.

À une époque pas si lointaine, où j’étais dans un état mal amanché.

Cette ligne-là : « Ce pneuma psychique est généralement décrit comme un souffle chaud, qui pénètre, anime et meut le corps tout entier ». (p. 21)

« Lorsque Zénon déclare que l’âme humaine est un souffle, il se distingue nettement d’Aristote ». Ok. D’accord.

Le pneuma, le souffle, oui, c’est un texte d’il y a une dizaine d’années, un texte que j’avais ouvert quand je réfléchissais au souci de soi.

« D’après la conception de Zénon, il y a donc une espèce d’élan vital, ‘un feu artiste, qui s’avance méthodiquement pour animer tout un pneuma igné et créateur’ ». (p. 22-23)

« Ce feu artiste est une force intelligente qui s’avance méthodiquement » (p. 23)

Le document est glissé dans le livre de Foucault au Collège de France. Et il y a un trait de crayon à côté d’un paragraphe. Je le lis, ça va comme suit :

« Il ne faut jamais oublier que notre pneuma n’est rien d’autre qu’un souffle. Alors là, c’est la réduction à l’élément matériel dont on parlera tout à l’heure. Notre pneuma, c’est un souffle, un souffle matériel. Et encore, dit-il, ce souffle se renouvelle à chaque respiration. Chaque fois que nous respirons, nous abandonnons un peu de notre pneuma, et nous prenons un peu d’un autre pneuma, de telle sorte que ce pneuma n’est jamais le même. En tant que nous avons un pneuma, nous ne sommes jamais le même. » (Herméneutique du sujet, p. 290-291)

À chaque respiration, ce souffle se renouvelle et on ne reste jamais le même.

Ok. Mais, moi, je continue de crouler sous le poids des affaires ici.

C’est quoi ça.

Danse exercice 2 avec Claire Pimparé. Y a surement quelque chose à faire avec ça.

Bon, intéressant les affaires de pneumatologie, page 32, ça dit :

« la voix est définie comme un pneuma qui part de l’intelligence, passe par la bouche, produit des vibrations dans l’air, lesquelles sont transmises par les oreilles, le cerveau et le sang jusqu’à l’âme de celui qui écoute. » (p.32)

Restons focus, revenons aux vinyles et refrain, « La pression monte autour d’moi. J’ai plus d’air, Besoin d’espace vital ».

Comme le scande la rappeuse M.I.A. « I got more records than the KGB », j’ai plus de documents que le KGB. Bon okay l’hyperbole. Ça doit sortir.

Un petit dernier pour aujourd’hui.

Je garde-tu, je garde-tu pas ?

Ce disque-ci. Le peuple de l’herbe.

Je ne compte plus le nombre de documents, disques et vinyles, qui tapissent le plancher et colorent les murs de mon quotidien. Une grande famille de mélodies imprimées dans le creux des microsillons.

Et à travers tout ça, il traine encore des réflexions d’une autre époque, de l’antiquité, sur le pneuma comme principe actif dans la constitution de chaque être, un pneuma automatique qui se meut lui-même, qui ne cesse jamais de se mouvoir.

J’essaie de me libérer de ce qui m’accable, d’expirer ce que je peux de l’intérieur vers l’extérieur.

Une grande famille de documents m’entoure et je replonge, encore un peu.

p. 67.

« D’une façon générale, on peut dire que le pneuma est le fondement de la cohésion des êtres individuels et de la sympathie universelle du cosmos : chaque être individuel constitue une cellule plus ou moins autonome dans le grand organisme cosmique ».

Et ça continue, de manière tout autant perchée.

« […] la matière a besoin d’un principe unifiant, […] elle ne possède pas par elle-même l’unité que nous lui connaissons dans les choses sensibles; […] comme une poussière d’atomes non organisés. Le rôle primordial du pneuma consiste alors tout naturellement à unifier ces innombrables particules pour en faire des organismes vivants, qui occupent leur place dans le grand organisme du monde » (p.67-68)

Entre quatre murs de vinyles et un tapis de documents,

Ça respire,

Un principe de mouvement, un principe du repos.

Ça travaille au jour le jour avec son souffle,

Ça pose des questions, ça chante ici, ça revendique là-bas,

Tout ça avec une voix, avec un souffle je veux dire.

Dans le silence radio et au travers des ondes hertziennes

Je respire

Je retrouve un autre souffle, je ne reste pas le même.

Je pense encore à la ville, à la ville que j’habite

Et j’entends l’écho des mots soufflés par nos devanciers

Je les répète ces mots de Marc Boutin

Le souffle de la vie rentre dans la ville et rentre dans les formes.

La beauté d’une ville est liée au fait que les gens habitent une ville.

Et tour à tour, des mammifères parlent,

prennent le temps de souffler, ici, à la radio,

de souffler sur les braises des archives.

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