Voici la chronique Remue-mémoires présentée le 9 octobre 2025 à l’émission Québec Réveille, animée par Rémi Giguère et mise en ondes par Marc-André Dubé sur les ondes du 88,3, CKIA-FM Radio Basse-Ville.
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J’habite une ville où ça marche, où ça se renouvelle, où les fruits se récoltent à chaque moisson.
J’habite une ville où ce qui circule entre nous ne se mesure pas, ne se compte pas.
Une ville où circule un style, une attitude, une manière d’être au monde, en relation.
J’habite une ville où ça se passe entre nous, peu importe ce qui se passe, de traces, de marques.
Une ville où ça donne, ça prend, ça reçoit, ça appelle, ça appelle, ça appelle,
Et parfois ça se rappelle.
J’habite une ville où ça se rappelle, des lieux, des rencontres,
Une ville espace potentiel, avec plein de jeux, où depuis un temps immémorial, ça circule entre nous.
C’est avec un micro à la main que je commence à être témoin de tout ça, avec une plus grande vigilance.
Ça circule entre nous.
J’entre en relation avec des outils – un micro.
J’entre en relation avec la ville, avec des objets transitionnels – des sons, des mots, des phrases.
J’entre en relation avec d’autres personnes – leurs voix et l’effet qu’elles ont encore sur moi aujourd’hui.
Je suis un novice, j’entends chaque bruit de manipulation et j’apprends peu à peu la technique ancestrale, celle de manier l’outil, le micro.
Je capte ici un moment qui n’a pas à être enregistré. On présente notre projet à un apiculteur, au trait-carré à Charlesbourg.
Je propose pour ma part qu’on réalise une « cartographie radiophonique » et Marie-Laurence Rancourt, elle, propose le titre « J’habite une ville ». Ce titre-là, j’apprenais que c’est également celui d’une série radiophonique de Pierre Perrault diffusée sur les ondes de Radio-Canada en 1965. Et ça m’a pris dix ans pour que j’aille chercher le document aux Archives de l’Université Laval, pour tendre l’oreille au passé radiophonique de cet homme d’images.
Avec ce projet-là, un autre projet initiatique, on s’est promené en ville avec nos micros, pour expérimenter, au sens noble… et amateur du verbe. Expérimenter et finir par consigner, sans savoir, des traces d’une voix connue de Québec, il y a dix ans.
En me promenant sur la rue Saint-Jean, j’ai aussi appris à connaître une autre collègue à ce moment, Zoé Gagnon-Paquin.
On procédait, peu à peu, à rapprocher le micro de la fenêtre, comme tu le fais depuis quelques semaines Rémi, en rencontrant un camelot du journal La Quête. Et le projet J’habite une ville nous avait amené, Marie-Laurence, Zoé et moi, a rencontrer toutes sortes de gens, avec la perspective d’une histoire populaire. Un peu comme le propose François G. Couillard
Et trouver des modèles et des inspirations près de nous, c’est ce qu’on a fait pendant cet été-là, il y a dix ans. Une d’entre nous, Zoé, est allée à la rencontre d’un poète de la ville de Québec qui a laissé sa trace pour toujours.
De ses florilèges, je retiens d’Edmé Étienne son rapport à la poésie comme un mode de vie et une responsabilité…
« Qu’est-ce qui se trouve rigoureusement urgent à dire ? », c’est cette question-là qu’il nous reste, c’est ce qui reste après la disparition. Le grain de la voix du poète et une question.
Et que reste-t-il quand le grand-père du bronze disparaît, lui que j’avais rencontré dans sa fonderie à Saint-Roch. Il reste d’Aristide Gagnon, ses œuvres, ses sphères sonores et son attitude – l’esprit de sa recherche perpétuelle qui l’anime. Je lui avais demandé de m’expliquer son acharnement, après autant d’années, de continuer à modeler la matière, à créer des formes.
Il me reste aussi de la belle rencontre avec Aristide, un aphorisme qu’il avait écrit, sur un papier, dans son atelier : « Ma création, c’est mon métier. Mon métier, c’est la création ».
De cet été-là où j’ai appris le métier, la création, je suis encore marqué par des rencontres, dont celles de Marie-Laurence et Zoé.
Avec Webster, sur le toit des Pénates à Limoilou, je lui ai demandé comment on fait pour que ça continue de circuler entre nous en ville.
Après la disparition, ce sont des messages et des œuvres qu’il nous reste – La ville fabulée de Champlain, Ludovica, les escaliers en fer forgé de Baillargé.
Après la disparition du groupe de Compton Niggaz wit Attitude, c’est leur message qu’il nous reste : « Express yourself ». J’ai demandé à Webster, selon lui, quel serait son message pour le quartier, pour la ville.
J’habite une ville où ça circule entre nous
une ville où ça se rappelle, des lieux, des rencontres
J’habite une ville où ça se passe entre nous, peu importe ce qui se passe.
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L’ensemble de capsules réalisées dans le cadre du projet J’habite une ville. Une radiophonique des quartiers centraux sont accessibles sur le site Internet suivant : https://www.mixcloud.com/carto/
Il reste quelques traces de ce projet, dont cette partie de description du projet et un lambeau d’image du site de la cartographie :
Nous sommes trois réalisateurs avec chacun sa vision créatrice et qui se sont associés, le temps d’un été, pour sillonner la ville de Québec et y prêter l’oreille. Nous avons créé la série J’habite une ville en nous laissant inspirer par le cinéma direct de Pierre Perrault, par l’art du documentaire radiophonique que pratiquent toujours les radios européennes comme ARTE, par les créateurs contemporains du podcasting et par bien d’autres choses encore. Les balades radiophoniques que vous pouvez entendre sur ce site ont chacune été conçues, réalisées et produites par l’un d’entre nous. Nous partageons la vision d’ensemble sur laquelle repose l’esthétique de la série. Elle s’appuie sur une volonté de la mise en valeur de la parole recueillie et de la personne rencontrée et de l’exploration des possibilités uniques que la radio offre au discours.

