[Chronique] Prêcher par l’exemple, comme Jacques.

Voici la chronique Remue-mémoires présentée le 25 septembre 2025 à l’émission Québec Réveille, animée par Rémi Giguère et mise en ondes par Marc-André Dubé sur les ondes du 88,3, CKIA-FM Radio Basse-Ville.

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Pris dans le quotidien, engoncé dans des habitudes, je suis là à répéter les mêmes gestes. Mon regard se porte au bout du couloir de mon appartement : dans le bureau, la lampe allumée qui éclaire la table, la chaise berçante et une théière fumante d’où s’élève une chaleur qui ondule dans l’air.

Je contemple cette scène, à répétition, au moment où j’ai la main sur la poignée de la porte, prêt à partir dans le rythme effréné du dehors, dans le trafic anonyme, dans une routine sans fin qui ne m’appartient pas.

Je me demande quand est-ce qu’on prend ce temps, pour rêvasser un peu à la clarté de l’aurore, au soleil couchant, pour s’emmitoufler avec un livre, un crayon, avec soi.

Faut-il arrivé au soir de sa vie pour prendre ce temps-là, pour arrêter cette course effrénée, cette rat race où on est trop souvent pressé d’aller nulle part.

Je contemple cette scène, à répétition, et je me rappelle que certaines personnes de mon entourage en sont arrivées là, à atteindre une certaine immobilité, une sagesse immobile.

Parmi ces personnes, je pense à Jacques Lachance, qui a réussi à triompher, à sortir de ses habitudes. Jacques fait partie de cette belle grande famille radiophonique du Québec, une famille dont certains membres me sont si proches que je les considère, affectueusement, comme de grands-oncles et de grandes-tantes.

Je l’ai rencontré il y a quelques années sur la Côte-Nord. Récit d’une rencontre avec Jacques qui ne sait qu’une chose : oser, risquer et prêcher par l’exemple.

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Mingan 2021, Mingan 2021. Ces mots-là ont à ce point été répétés comme un slogan depuis la ville de Québec.

Mingan 2021, ce ne fut pas des Olympiques, mais une grande découverte, celle de la rencontre avec le territoire. Celui du Québec, de la Côte Nord, des territoires du Nord-Est, de la Minganie.

On était allé là avec une minoune, une Chevrolet Malibu dont le lecteur de cd ne fonctionnait pas. Mais la radio, elle, fonctionnait. Elle nous a permis de découvrir la diversité des voix, des lettres et des chiffres en innu.

Après avoir entendu le souffle du boulier de Pessamit, sur les ondes de Radio Ntetemuk (CIMB, 95,1fm), signifiant « le monde, l’univers, la terre », ce fut le silence, le silence qui vient après que l’alternateur du char te lâche, une centaine de kilomètres après la rivière Moisie, dans ces rares espaces qui existent encore sans réseau.

Après les voyages en remorqueuse, on a fait du pouce entre Ekuanitshit, Baie-Johan-Beetz, et ce jusqu’à Nutashkuan.

Arrivé là-bas, presque au bout de la 138, on avait un contact, celui de Gérard, un jeune père oblat qui agit comme prêtre itinérant entre les paroisses de Nutaskhuan, la Romaine et Pakuashipi.

Le climat n’était pas le meilleur pour aller à la rencontre d’un prête, aussi singulier soit-il. On était, en juin 2021, en plein scandale de la découverte des sépultures d’enfants près de l’ancien pensionnat de Kamloops.

L’adresse du presbytère en main, on arrive au cœur de la communauté, où un homme passe la tondeuse sur son terrain.

On entre au presbytère, on partage un délicieux saumon avec Gérard et on en apprend davantage sur ce personnage important pour la communauté, puisqu’il est présent à tous les baptêmes, décès et mariages des Innus de la Basse-Côte.

Originaire du Cameroun, ayant appris l’italien et le latin au Vatican, il nous parlait de Boris Cyrulnik, de psychanalyse, des émissions qu’il écoutait sur France Culture; un homme cosmopolite, de son temps, et qui parle innu-aimun…comme un innu.

Je cherchais à visiter la radio de la communauté, comme je fais un peu partout où je vais. Et oui, j’enregistrais encore et j’ignore encore pourquoi je le fais.

La personne qui passait la tondeuse à côté du presbytère entre, c’est le chef du village de Nutashkuan, Réal, qui vient prendre un verre d’eau. Il dit bonjour. Je dis bonjour, et j’enchaîne avec mes marottes habituelles : archives, radio. Il répond Jacques Lachance, Rivière-au-Tonnerre.

Les jours passent, notre Malibu renaît de ses cendres, et on finit par aller à la rencontre de Jacques.

Initiateur avec Joséphine Bacon du festival de conte et de légende Innucadie, d’une coopérative qui organise des voyages sur la Côte-Nord, il a aussi contribué à mettre sur pied des antennes, des studios, des radios communautaires sur la Côte-Nord, notamment à travers son implication à la SOCAM, la Société de Communication Atikamekw-Montagnais.

Je demande à Jacques, comment il en est venu à s’engager dans le domaine de la radiophonie autochtone.

Et pour lui, ça ne devait pas être théorique, abstrait. Cette idée de la radio, il fallait l’incarner, la mettre en pratique. Il m’a pointé un document qui rend compte de ce pragmatisme qui l’a toujours habité.

À titre de consultant, de formateur, de complices, il a voyagé du Nunavik à Dakar, notamment grâce l’AMARC (l’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires). Une des premières personnes qui m’a parlé de L’AMARC, c’est l’artiste et femme de théâtre Laurence Brunelle-Côté, que je salue. Pour Jacques, tout ça a commencé à Nutakhuan, avec son amie Germaine Mesténapéo.

Et ça n’a pas arrêté pendant un bon moment pour Jacques, il s’est impliqué dans la radio dès la fin des années à 1970. À partir de cette expérience fondatrice, il a appris beaucoup à vivre sur la Côte-Nord, sur la manière d’être des Innus, en acquérant quelques mots signifiants de ce peuple.

Kaia-miu-mistuk, c’est d’ailleurs une partie du nom de la radio de Nutakhuan, qui est officiellement entrée en ondes en 1979.

Vingt ans plus tard, à la fin du dernier millénaire, Jacques se redresse, il en vient à changer radicalement ses habitudes de vie, en continuant toujours à faire de la radio.

Jacques a traversé toutes sortes de passions, d’expériences, de territoires. Comme bien d’autres l’ont fait, à d’autres moments. D’ailleurs, Whassobre Rémi! Ce néologisme « whassobre », issue de la contraction du terme what’sup et sobre, a été inventé par mon premier destinataire, ici présent, Rémi Giguère. Ça a donné lieu à un livre et un balado, bravo d’ailleurs, que vous pouvez retrouver et dans lequel on y entend aussi, oui, des témoignages.

« Y a toujours quelqu’un qui témoigne puis on s’identifie toujours quelque part au vécu de cette personne-là. »

Jacques en est arrivé là, il a réussi à triompher, à sortir de ses habitudes. Il a osé, il a risqué, comme une jeune femme lui a soufflé à l’oreille un jour, au cours de l’odyssée entre Québec et Natashquan.

Il a accouché d’une histoire, la sienne, qu’il a écrite au cours des dernières années. C’est l’histoire, Comme un passante, de…

La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, longueur d’ondes, mince, intériorité, en grand deuil, douleur majestueuse, la vie passa, d’un témoignage fastueux. Celui d’une personne qui ose, risque et prêche, par l’exemple, et, surtout, qui prend son temps.

Ça s’appelle Vents fauves, tendres brasiers et petites vagues.

D’autres lettres québécoises.

Des écritures de soi.

Toujours universelles.

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Il est aussi possible d’en apprendre davantage à propos de Jacques Lachance dans la chronique « Un penseur russe sur la Côte-Nord, des institutions de la communauté et des archives ».

Photo d’une réalisatrice de CFLR à Unamen Shipu. Photo de Serge Jauvin, Circa 1979.

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