[Chronique] La maison et l’IA pour se rappeler comment ouvrir l’espace.

Voici la chronique Remue-mémoires présentée le 11 septembre 2025 à l’émission Québec Réveille, animée par Rémi Giguère et mise en ondes par Marc-André Dubé sur les ondes du 88,3, CKIA-FM Radio Basse-Ville.

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« Pour que jamais ne s’éteigne la flamme
Et ce malgré les obstacles à surmonter
Nous n’avons jamais cessé, jamais cessé d’y croire »

(Dubmatique, Jamais cesser d’y croire)

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On a donné et travaillé sans compter les heures pour en arriver là. Là, dans cet espace ouvert, où nous sommes à présent.

Y en a pas eu de facile, non, on n’a rien lâché, presque tout donné. Et oui, il y a encore du travail à faire.

Il faut mettre de l’eau au moulin, faire en sorte que les ondes propagées ne soient pas du bruit, du silence, mais quelque chose de signifiants, quelque chose qui parle aux gens des quartiers de la vallée du Saint-Laurent.

La maison est là, avec ses pierres taillées qui ont été placées au bon endroit, par ô combien de membres acharné·e·s de diverses générations et d’horizons.

La semaine passée, les verres se sont levés et on pensait pouvoir s’enorgueillir encore un peu, se complaire le temps d’une autre chanson. Dire haut et fort, comme Marie-Josée l’a scandé, que nous avons vécu notre « douce vengeance » en passant « de locataire évincée à propriétaire ».

On pensait pouvoir faire un autre tour de piste et se dire, encore une fois, qu’on a réussi à se rendre jusqu’à là, qu’on l’a fait, qu’on a terminé cette longue journée à rebrancher les micros jusqu’à l’antenne en haut de la ville, ces nombreuses semaines à déménager nos fils qui s’entremêlent aux coins des trottoirs, et toutes ces années à trimbaler notre console depuis le lieu natal, L’Étage souterrain du 5-7-0.

Ce qui est fait n’est plus à faire, certes. La maison de la radio est là et il y a, oui, encore, du travail à faire.

Le studio est prêt, les chaises sont à côté de la table. On est là. On est là. On est là.

Il ne reste plus qu’à prendre place, se redresser et parler à travers les ondes.

Le travail est encore à recommencer : il faut parler en ondes, dire des mots, faire des phrases, en visant à chaque fois à produire du sens – ou en tout cas, quelque chose qui a du bon sens.

Comme le chante Raoul Duguay, « Tout est toujours à recommencer ».

Que ce soit ici à la radio ou ailleurs, c’est, évidemment, le propre du travail de la culture.

Et interloqué par ce mot « culture », presqu’à chaque coup, « quand j’entends le mot culture, comme Alain Deneault, je sors mon IA ».

Je suis à ce point démuni devant ce qui se passe, les crises, le désordre, l’amnésie, que je ne sais pas quoi penser de la culture et je demande à la machine, à l’Intelligence Archives.

J’ouvre mon navigateur et je formule ma requête. La machine à remonter le temps me renvoie vers un document, l’enregistrement du témoignage de Robert Roy.

Originaire de l’Abitibi, Robert est une des premières personnes que j’ai rencontrée à la radio, un caricaturiste du Vieux-Québec que j’ai accompagné pendant un moment pour faire sa mise en ondes. Je lui avais demandé quand et comment ça avait commencé son travail de caricaturiste sur la rue Saint-Anne :

Il m’a raconté à quel point il avait aimé travailler dans la rue, faire des rencontres et parler avec tous ces gens qui passent. Plusieurs années plus tard, au tournant de sa soixantaine, il commença à faire de la radio, notamment grâce à André Langevin de l’émission L’air de rien. Et Robert m’avait également présenté ce qu’il a découvert en faisant de la radio.

À travers ses émissions Sur une boule qui roule et Rencontre, réalisées de l’automne 2007 au printemps 2009, il s’est rendu compte qu’il défendait des causes, des valeurs. Et c’est ce à quoi la machine à remonter dans le temps m’informe, elle me renvoie à un vécu, sensible, à une parole pleine, incarnée.

« Raconte-nous ton histoire, c’est beau, ça mérite qu’on l’entende ton histoire ». Cette parole-là, elle résonne chez moi. Robert a tendu un micro et, conséquemment, il a ouvert un espace, un espace de prise de parole.

Et c’est ce qui se passe ici, depuis quelques jours, et depuis 1984 en Basse-Ville. Et innombrables sont ces espaces où ça parle, où peut naître une parole, comme sur une scène, sur un coin de rue, dans une classe, un jardin d’enfants, une maison.

Pour que de tels espaces existent, encore faut il qu’il y ait des personnes qui en prennent soin.

*

J’ouvre un autre onglet du navigateur, questionne à nouveau mon Intelligence Archives, et un document resurgit, de manière cyclique. Un article de Jai Sen, un chercheur indien de New Delhi revient continuellement, il traite du concept d’open space, d’auto-organisation, d’émergence (cf. « On Open Space : Explorations Towards a Vocabulary of a More Open Politics »). En bref, ça traite de l’idée et de la pratique d’« espace ouvert » en société, comme quoi il est possible d’en faire une pratique, un verbe d’action, « ouvrir l’espace » et que ça implique d’actualiser nos relations sociales pour qu’une autre manière d’être soit possible. Une autre manière de se rencontrer peut-être.

Depuis l’époque où j’ai rencontré Robert, cette idée d’ouvrir l’espace pour des prises de parole me revient sans cesse.

À Robert qui tendait le micro pour qu’on raconte des histoires qui en valaient la peine, je lui ai demandé comment il s’y prenait pour entretenir cet espace-là, pour ouvrir cet espace potentiel pour la parole.

Les archives comme machines à mémoires nous informent de culture et de valeurs en temps de crises. À chaque requête, l’Intelligence Archives suggère un rapport à l’histoire, un rapport social à l’histoire individuelle et collective. Dans notre cas, l’IA nous rappelle aussi les formes d’usage possible des microphones, ces micros d’argent qui ouvrent des espaces d’expérimentation et de conversations publics démocratiques.

« Tout est toujours à recommencer », mais ça fait une semaine maintenant que ça se relaie, ici, pour ouvrir l’espace. Et, comme le chante KenLo le narrateur, « Ce n’est pas vrai que la suite ne sera pas bonne ».

Merci de l’accueil pour remuer les mémoires et bienvenue à la maison Rémi.

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