Voici la chronique Remue-mémoires présentée le 15 mai 2025 à l’émission Québec Réveille, animée par Philippe Arseneault et mise en ondes par Marc-André Dubé sur les ondes du 88,3, CKIA-FM Radio Basse-Ville.
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Mingan, juin 2021.
Sur la Côte-Nord, à quelques jets de pierre de la Romaine, je suis au cœur de la nature et qu’est-ce que je fais ?
Je m’immerge les oreilles dans des paysages sonores, je fouille depuis ma cabane dans mes disques durs et j’écris.
J’écris à propos de la marche, de mes flâneries avec un microphone dans la ville, je pratique l’écriture flâneuse et je remonte le cours de mes enregistrements jusqu’à leurs sources, le contexte de leur création.
Depuis là où je suis, en Minganie, je participe à une rencontre à distance avec des gens qui réfléchissent à la marche depuis une petite ville grecque qui se nomme Prespa. Là-bas se sont réunis une centaine d’artistes et des chercheurs européens et par-delà qui se questionne sur une des principales activités des bipèdes – la marche.
De mon côté de l’océan, j’élabore une réflexion à propos de la marche, moi qui a appris l’histoire de la ville en faisant des promenades de Jane. En prenant cette communauté européenne de marcheurs comme destinataire, je rassemble tout ce que j’ai sous la main pour écrire des notes de recherche sur une méthode selon laquelle marcher permet de commémorer, de se souvenir et d’imaginer. Je m’étais crinqué pour formuler le tout en anglais dans l‘audio paper «To commemorate, to remember, to imagine. Research notes on walking as a methodology in Québec ».
Et je commence mon récit en parlant de moi, en racontant comment j’ai commencé à écouter la radio sur une base plus régulière. J’écoutais, tous les dimanches soir, une émission, et je faisais cela avec les écouteurs au creux des oreilles, en marchant dans les bois au nord de Beauport, au cœur du camping Villeneuve.
Ma découverte de la Côte-Nord se poursuit, je visite la radio d’Ekuanitshit, à Mingan. On descend au sous-sol et, en quelques secondes, je convaincs la dame de brasser un peu de poussière avec moi. Elle ressort de ce nuage… une cassette et elle prend le temps de lire ce qui est écrit dessus : un nom, Mackenzie, un joueur de tambour, me dit-elle, et elle est ému, simplement en tenant la cassette. Elle se remémore un souvenir. La situation ne se prolonge toutefois pas davantage, le bingo en onde le soir même prime sur notre conversation.
Après quelques semaines de marche en Minganie, je constate que d’autres personnes réfléchissent à la marche en Amérique, au même moment. Ça se passe en Gaspésie méridionale, à Carleton-sur-Mer. Une dizaine d’artistes se sont réunies là-bas pour marcher ensemble, en lien avec ce même événement grec. C’est l’été, j’ai du temps libre et je décide de traverser le Saint-Laurent pour aller à leur rencontre.
Je longe la Matapédia et j’arrive au pas de la porte du centre d’artiste Vaste et vague. Je tends l’oreille, c’est-à-dire dire je tends le micro.
Je rencontre peu à peu la faune de marcheurs, des bipèdes rassemblés par Sophie Cabot, la commissaire de l’exposition. Et peu de temps après mon arrivée, nous sommes conviés à sortir dehors, pour marcher et respirer le grand air marin.
Avec ces gens que je connais depuis à peine quelques heures, je marche, j’inspire et je commence à entrer dans un autre état d’esprit. Chaque personne de ce groupe à guidé leur marche avec une question, voici celle de Kathy.
J’ai essayé de pratiquer avec eux, la marche, et j’ai commencé à être habité par je ne sais quoi – une espèce de fougue créatrice. J’ai d’ailleurs recroisé Kathy la semaine passée, à une activité de l’EMIQ, l’ensemble de musique improvisée de Québec, et ce n’est qu’à présent que je la retrouve dans mes enregistrements. Nous étions vraiment partis dans un autre monde, en marchant.
Je ne reste pas plus longtemps avec eux, mais ce qui est certain, c’est que j’ai vécu quelque chose là-bas, avec ce groupe de complices.
Les heures passent et je fini par me retrouve seul, en longeant le littoral.

Je suis seul, en fait, je suis seul accompagné de mon fidèle compagnon, le microphone. Les dernières semaines du printemps avaient été surchargées et là, à présent, je sens que je retrouve le goût de la rencontre. Une certaine disposition d’esprit est là, ce qui fait en sorte que je suis disponible à faire des rencontres.
Je continue de marcher le littoral et j’interpelle cavalièrement un photographe sur la plage de Carleton-sur-Mer.
Cet homme, appareil à la main, prend le cliché d’une exposition de photos en plein air dans le cadre des Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie.Je lui lance la boutade suivante : « Monsieur, on ne peut pas photographier des photos sans disposer des droits d’auteur de ces photos ». On commence à jaser et on parle, quelle surprise me dis-je, d’archives et d’enregistrements radiophoniques sur cassettes.
Parle, parle, jase, jase, cet homme à la caméra, du prénom de Robert, m’invite chez lui le lendemain. J’ai l’impression qu’on est se connaît depuis longtemps.
J’arrive chez lui avec une grande familiarité et un excès de zèle habituel pour les archives.
Arrivé chez lui, il me présente quatre boîtes de cassettes, une vaste collection d’enregistrements radiophoniques. Il a ainsi enregistré plusieurs centaines d’heures de radio, provenant de radios privées de la ville de Montréal, telles que CKVL, CKAC, CJAD. À mesure qu’il ouvrait des boîtes, j’en apprenais sur le contenu que cet auditeur passionné a enregistré : ça va de polémistes comme Gilles Proulx et André Arthur à des sujets comme le référendum de 1980 et 1995, la loi 101, le débat du Parti québécois ou « Budget de l’an 1 de l’indépendance du Québec ». Plus de cinq cents, six cents cassettes sont là, devant nous. Et il m’indique qui sont ses destinataires à lui, à qui pourraient servir ces cassettes.
Une vingtaine de minutes après mon arrivée, Robert me présente d’autres cassettes, cette fois-ci en lien avec un projet de recherche entourant le journal Le Canada, un quotidien montréalais qui est paru de 1903 à 1954. Reconnu comme l’organe du Parti libéral du Canada, ce journal a été un moyen pour défendre la politique officielle du parti et faire face à la montée du nationalisme conservateur au Canada et au Québec avec, entre autres, Camillien Houde et Maurice Duplessis.
Robert Dubé me raconte ici la passion qui l’anime pour ce journal.
Un amateur passionné, un auditeur assidu, un archiviste ad hoc, j’ai développé une relation avec Robert Dubé, une forme d’amitié autour de sa volonté de savoir.
Je marche, je rencontre des personnes qui sont mues par des passions et j’entends des voix au creux de mes oreilles, dans mes écouteurs et dans les enregistrements que d’autres ont réalisés avec soin, attention, en prenant leur temps.
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Pour connaître davantage le cas de Robert Dubé et du journal Le Canada (1903-1954), je vous redirige vers ma contribution intitulée « Un archiviste ad hoc, entre archives radiophoniques et archives orales » parue dans la revue Cheminement du Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ) en 2025.