Par un beau jour du 31 octobre de l’an 1835, vient au monde un folkloriste letton du nom de Krišjānis Barons. Réputé comme le « Père des daïnas », l’équivalent des haïkus pour les Japonais, la biographie de Barons pourrait se résumer comme suit : il est né, il a collecté des poèmes nommés daïnas, les a classés dans un Dainu skapis – un cabinet de chants folkloriques – et il est mort.
L’année après le décès de cet ouvrier de la cueillette, une jeune enseignante, Anna Bērzkalne, fonde en 1924 le Latviešu folkloras krātuve – les Archives de folklore de Lettonie.
Au cours des derniers jours, le 100e anniversaire de cette institution a été célébré par des archivistes et des passionnées de recherche folklorique provenant des pays baltes, scandinaves, et par-delà les frontières de ces pays de l’Est. Cette cérémonie commémorative, où l’on met en commun des mots, des réflexions sur des objets de recherche, s’est déroulée dans la Bibliothèque nationale de Lettonie, là où travaillent également les archivistes et les folkloristes.
Un tel bâtiment, qui a été surnommé une cathédrale flottante par une collègue d’Helsinki, est un lieu symbolique, car il incarne le rapport à la littérature, l’histoire et la culture de la communauté lettonienne. Les communautés se dotent ainsi d’institutions pour orienter leurs destinées collectives et l’architecture de ce bâtiment semble représentative de l’importance accordée aux fonctions de la bibliothèque et des archives pour cette société.
Se sont défilées pendant les trois derniers jours des présentations de toutes sortes, dont plusieurs sur la culture des pays de la Révolution chantante. Il y a d’ailleurs eu l’inauguration d’une exposition portant précisément sur le Folk Revival Movement, un mouvement où des communautés entières se sont réapproprié leur culture, leur fierté, et ce, grâce au chant et à la danse. Nous étions entourés de gens de ce mouvement, d’autres ayant étudié son importance et, surtout, des rejetons de cette génération.
Évidemment, cette forme de mouvement, qui redonne un souffle à tout un peuple, ne plaisait pas à tout le monde. Des agents du KGB enregistraient, eux aussi, aux côtés des folkloristes. Et une dame d’un certain âge, Léana, me confiait qu’à l’époque où elle travaillait pour le ministère des Affaires culturelles, qu’elle organisait le festival Baltica en 1988 – un événement emblématique de ce réveil –, le gouvernement soviétique en place à Riga faisait tout pour empêcher la tenue du festival. Elle me disait à quel point elle se réjouissait de voir des jeunes chanter, danser et s’intéresser aux traces de ce mouvement contre-culturel.
Par un beau jour du 31 octobre de l’année 1984, ce fut l’entrée en onde d’une station du nom de Radio Basse-Ville. Ça a eu lieu il y a 40 ans et ce sont des individus qui ont mis sur pied cette radio, des individus qui ont fait cela au nom de collectifs et du collectif. Cette radio-là déménagera sous peu au cœur du quartier Saint-Roch, dans une maison presque bicentenaire avec une architecture unique. Des générations se sont succédé, des générations d’ouvriers et d’ouvrières de la cueillette, pour provoquer des rencontres autour d’un micro, donner à entendre des prises de paroles et relayer des bribes de culture.
La culture produite au sein de cette radio communautaire là, comme des autres, elle est sans doute contre-culturelle à sa manière, contre un certain establishment de l’industrie culturelle et, parfois même, en porte-à-faux avec la bien-pensance de l’air du temps.
Depuis que je fréquente les radios communautaires, j’ai le sentiment de faire partie d’un certain mouvement, un mouvement que je n’oserai qualifier de revival, de renouveau, de renaissance, mais un mouvement certain qui tourne autour d’une culture et qui fait tourner une culture. Et faire partie d’un mouvement, d’une communauté, d’une famille, d’une relation, n’est-ce pas quelque chose à laquelle un individu peut véritablement aspirer.
De ces rencontres qui font ce qu’on est, il y avait une émission spéciale ce matin à Québec Réveille et il y a un résumé de l’événement du 100e anniversaire, « Archives of Traditional Culture : 100+10 », où, comme dirait l’autre, votre humble serviteur a présenté la communication « Current and future oral and sound collectors: folklorists, ethnologists and radio producers. The case of the Archives de Folklore et d’Ethnologie de l’Université Laval ».
Bref, cette date relevée, un 31 octobre, pour dire une chose simplement : Ça fait dix ans que j’apprends à faire la fête pas sans raison.