[chronique] Apprendre à dire merci

Voici la chronique Remue-mémoires présentée le 18 octobre 2024 à l’émission Québec Réveille, animée par Philippe Arseneault sur les ondes du 88,3, CKIA-FM Radio Basse-Ville.

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À chaque mois d’octobre, les feuilles changent de couleurs. Et, à chaque mois d’octobre, je sais que reviendra, à la fin du mois, l’anniversaire de Radio Basse-Ville.

Je continue d’être là où je suis, ancré dans mes habitudes structurantes et dans les bibliothèques de la ville.

Sur la rue Saint-Joseph, en sortant de la bibliothèque, je vois une phrase de l’écrivaine Gabrielle Roy.

Mes pieds s’arrêtent devant le panneau. La phrase se lit comme suit : « Et le bonheur que les livres m’avaient donné, je voulais le rendre ».

Après avoir lu ces mots, je ne peux faire autrement que de répondre à l’écrivaine avec la même structure de phrase. Je dis simplement : « Et le bonheur que la radio et les archives m’avaient donné, je voulais le rendre ».

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Depuis dix ans, j’écoute la radio avec une autre oreille, une autre attention, une autre considération.

La saison où tout a commencé est celle de l’automne. Tout ça est lié à un jour de fête, de célébration. 

Je fouille encore dans les boites, retrouve des cassettes et je constate que d’autres, avant moi, ont souligné l’importance de la radio, cette institution de la parole – la radio, l’institution des mammifères qui parlent.

Extrait de l’émission du 14e anniversaire avec la voix de Mélanie Lanouette, 29 octobre 1998.

Et Radio Basse-Ville, parce qu’elle célèbre bientôt ses 40 années d’existence, il faut reconnaître ce qu’elle est, cette radio, avec ses micros, son antenne, et toutes les personnes ayant participé à cette œuvre de la Basse-Ville.

Je parcours les dossiers sur mon disque dur et je retrouve des enregistrements sonores d’il y a dix ans. Ce que je fais avec ces documents est simple, je les relis, je les remue et, de la poussière numérique, il ressort des voix du passé.

Je retrouve ici, Monique Lapointe, une des membres fondatrices de la station.

Extrait d’un enregistrement en marchant dans le quartier Saint-Roch avec Monique Lapointe et Réjean Lemoine, septembre 2014.

J’écoute cette voix, dix ans plus tard.

Je me rends compte que, comme Monique Lapointe et Mario Germain, j’ai suivi un parcours en sociologie et que je suis moi aussi résident du quartier Saint-Roch.

Là où j’habite, sur une rue parallèle à la première adresse de la radio sur la rue du Roi, je réussis à voir le complexe G, le haut de la tour Marie-Guyart, de là où sont encore diffusées les ondes hertziennes de CKIA. Monique raconte comment Mario a installé l’antenne de la station en 1984, une modeste antenne à l’époque de 6,8 watts.

Extrait d’un enregistrement en marchant dans le quartier Saint-Roch avec Monique Lapointe et Réjean Lemoine, septembre 2014.

L’antenne est encore là, pour de vrai.

L’antenne permet de relayer des voix, grâce un tissage serré de fils, de relayer des prises de parole qui passent à travers des micros et une console.

L’enregistrement, lui, permet de consigner des événements, dont ce cri d’étonnement, celui de Monique en 1984. Et quarante ans plus tard, il est possible de continuer de retransmettre cet étonnement, de le partager au présent.

Je retourne sur les traces laissées par d’autres, ces événements de parole qui sont inscrits sur des rubans, des bandes magnétiques, des cartes mémoires.

Je piste les traces de ces mammifères qui parlent, de ces mammifères qui permettent à d’autres de parler.

Je retrouve la voix d’un autre membre fondateur, Réjean Lemoine, le 31 octobre 2014. C’était lors de festivités qui avaient lieu au Cercle. Il mentionne clairement ce qu’est la fonction du porte-voix qu’est CKIA.

Extrait de l’émission de lancement des festivités du 30e anniversaire, avec Monique Lapointe et Réjean Lemoine, Le Cercle, 31 octobre 2014.

J’écoute cet enregistrement et j’apprends encore.

Je continue d’apprendre sur l’importance de cette radio, pour les individus, pour les groupes, pour les mammifères qui ne parlent pas encore, qui apprennent à parler, à dire, à nommer.

Alors qu’il me raconte l’importance de Radio Basse-Ville pour la revitalisation du quartier Saint-Roch, je tente tant bien que mal de nommer une chose, de dire merci.

Extrait de l’émission de lancement des festivités du 30e anniversaire, avec Monique Lapointe et Réjean Lemoine, Le Cercle, 31 octobre 2014.

Ces deux membres fondateurs se passent la balle, ils veulent souligner la contribution d’un autre membre, Mario Germain.

Pour la célébration halloweenesque du 30e de cette station, j’avais revêtu le costume de « Mario Bros », un clin d’œil niché en l’honneur du premier coordonnateur, Mario Germain, dont l’identité était à ce point liée à la station qu’il se faisait surnommer « Mario Basse-Ville ».

Et, par-delà ces trois-là, il y en aurait bien d’autres à nommer, de ces personnes impliquées, corps et âme, aux débuts de cette station.

À la toute fin de l’entretien, je me suis essayé à nouveau, pour les remercier.

Extrait de l’émission de lancement des festivités du 30e anniversaire, avec Monique Lapointe et Réjean Lemoine, Le Cercle, 31 octobre 2014.

D’une personne à une autre, au quotidien, d’une génération à une autre, dans la longue durée, je relève ce qui circule entre nous : ce sont des mots.

Je continue de faire ce retour dans le passé, puisque ces événements de parole continuent de former nos communautés, d’informer notre regard sur le monde.

Je retourne sur les traces laissées par d’autres, je piste les traces de ces mammifères qui parlent, car le bonheur que la radio et les archives m’avaient donné, je voulais le rendre.

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