[chronique] Creusez là où nous sommes : des Territoires du Nord-Ouest au Fjord du Saguenay

Voici la dernière chronique Remue-mémoires de la saison qui a été présentée le 5 juillet 2024 à l’émission Québec Réveille, animée par Philippe Arseneault sur les ondes du 88,3, CKIA-FM Radio Basse-Ville. Cette chronique reviendra à l’automne prochain.

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L’été est une période propice au déplacement, aux rencontres et à la découverte. Au cours des derniers jours, j’ai remué des mémoires de Yellowknife jusqu’au Petit-Saguenay, des mémoires qui sont portées par des documents et des témoignages.

Il y a dix jours, je suis allé de l’autre côté de la rivière outaouais rejoindre une amie de Yellowknife, Miranda. Je l’ai rencontrée il y a cinq ans, au moment où j’allais faire de la radio là-bas, à une station qui fêtait son 18e anniversaire. À l’auberge jeunesse où nous nous sommes retrouvés à Ottawa, nous avons fait la connaissance d’une famille provenant de la Suède. La seule chose que j’ai pu leur dire à propos de leur pays d’origine, – et je n’ai pas osé leur parler de la compagnie Northvolt – c’est que je connaissais un auteur suédois influant dans l’écriture de l’histoire « par en bas », une histoire écrite grâce aux contributions des « classes » populaires et de leurs perspectives. Je leur ai dit : « J’ai découvert l’auteur Sven Linqvist et son ouvrage Gräv där du står ». Le titre de l’ouvrage signifie en anglais « Dig where you stand ». Et j’ai ajouté que j’avais découvert cet auteur au moment où j’étais au nord.

J’ai découvert cela au milieu de l’été, en lisant Andrew Flinn, un auteur anglais qui réfléchit aux archives de communautés et à leur exploitation à travers un projet reprenant le titre de l’ouvrage qu’on pourrait traduire littéralement en français par « Creuse là où tu es » ou « « Creusez là où nous sommes ». À ce moment-là, quand j’étais à Yellowknife, le verbe d’action « creuser » renvoyait à une réalité très concrète, soit celle d’exploiter les archives de cette station de radio communautaire francophone de la capitale des Territoires du Nord-Ouest.

Après avoir récolté des témoignages et identifié des archives, j’ai ajouté quelques phrases et agencé le tout dans un montage dont je vous présente l’indicatif d’une série qui s’appelle Transit dans les archives de Radio Taïga.

J’ai découvert, à ce moment, une panoplie de documents qui racontent ce qu’est une communauté francophone, une communauté qui se tient ensemble, qui s’affirme. C’est ce que j’ai trouvé en creusant, là-bas.

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Il y a une semaine, j’étais à un événement qui s’appelle Virage, « une fabrique d’idées », un festival de la transition sociale et écologique. Arrivé là, dans cette municipalité de la route 170 nommée Petit-Saguenay, on est entré dans une marche guidée de l’école primaire et de ce village qui s’engage dans une transition.

Se sont réunies là plusieurs centaines de personnes engagées chacune à leur manière pour penser une transition, une autre façon d’habiter le territoire du Québec.

J’ai rencontré quelqu’un, Anouk, qui est arrivé là, au cœur du Saguenay, il y a huit ans, un peu avant que la Coalition Fjord voit le jour pour s’opposer au projet de Gazoduc et de GNL Québec.

J’ai fait la connaissance de gens qui habitent dans le quartier Hochelaga, près du Boisée Steinberg, qui résiste depuis huit ans à l’expansion du Port de Montréal et au terminal de conteneurs de Ray-Mont Logistics.

Il y avait aussi Yohan de l’Abitibi, avec qui j’ai bien dansé et qui a témoigné de la problématique liée à la fonderie Horne à Rouyn-Noranda.

Dernier exemple, un jeune homme du nom d’Antoine a présenté la lutte citoyenne entourant le projet de Northvolt, en exposant les incohérences de cette entreprise qui pourrait s’implanter aux abords de la rivière Richelieu.

Ce festival de trois jours a ainsi été rythmé de récits de pratique, d’ateliers, d’échanges de parole, entourant des formes de résistance qui s’inscrivent dans le territoire et dans la durée.

Quelqu’un commençait le récit d’une lutte avec quelques phrases et une autre personne ajoutait une autre phrase. À un moment, une voix retentit, une voix qui m’était connue – à moi et aux auditeurs de Québec Réveille! –, c’était celle, bien distincte, du chroniqueur Philippe Gauthier.

Avec ces toutes ces phrases achevées qui s’additionnaient, un propos cohérent, nuancé, s’élaborait.

Chaque personne parlait en son nom, depuis une position, une institution, une instance collective – que ce soit la municipalité du Petit-Saguenay, le Grand dialogue régional pour la transition socioécologique du Saguenay–Lac-Saint-Jean et combien d’autres collectifs formels ou informels.

À chaque fois, il était question de déficit démocratique, de gouvernance, de transparence, d’accès à l’information, de logique extractiviste ou encore de critiques, d’alternatives, de résistance et de résilience.

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Pendant ces trois journées là, à échanger à ce sujet, j’étais constamment ramené à là où je vis, à Québec et à l’histoire des luttes de cette ville.

Les Mères au front du Saguenay présentaient leurs actions, comme leurs chaises des générations offertes à des politiciens pour leur rappeler que l’avenir se dessine à travers les décisions prises aujourd’hui, et encore là, j’étais ramené à Québec, à l’implication des Mères au front dans la défense des Terres des sœurs de la Charité.

Pendant ces trois journées-là, j’avais à l’esprit cette idée que « l’histoire des luttes est une partie intégrante de la lutte » et je pensais aux archives radiophoniques des Amies de la terre.

Je me disais : il y a là un fonds d’archives dans lequel creuser. Creuser pour trouver des amorces, des moments dans l’histoire où on a été conscient de certaines réalités. Je pense à l’histoire des luttes entourant les poussières rouges, le nickel et le projet Laurentia à Québec. En creusant, on constate que les visées expansionnistes du Port de Québec et de compagnies pétrolières ne datent pas d’hier. Ici, il y a vingt ans déjà, Robin Couture parle d’un projet qui est encore d’actualité, entourant les terres de Rabaska.

Je pense aussi à l’incinérateur de Québec, situé à proximité de nombreuses résidences dans le quartier de Maizeret et à l’historique de cette lutte mené par le Comité citoyen de Limoilou, qui vient lui-même du MAPL – le Mouvement d’action populaire de Limoilou. Il est question de cet incinérateur, que la ville se targue aujourd’hui de nommer « un complexe de valorisation énergétique ». On est en novembre 1999.

Et on pourrait continuer…en creusant comme ça dans les archives, dans les émissions de sensibilisation à la crise écologique réalisées par les Amies de la Terre de Québec, on peut sortir des phrases qui sont, encore, toujours, d’actualité, plus de vingt ans après.

J’ai reçu en 2015, il y a bientôt dix ans, cinq boîtes de ces émissions, ce qui totalise près de deux cents cassettes. Pour mettre le tout en contexte, ma première intuition a été de contacter une des réalisatrices, Joël Gauvin-Racine.

Et je lui ai demandé comment elle avait commencé à s’impliquer…

Si pour certains le commencement, le point zéro, a été le Sommet des Amériques. Pour moi, ça a été les actions qui ont été posées par cette génération de 2001, cette génération de personnes qui font des phrases achevées, qui activent la culture et qui ouvrent des espaces dans la ville de Québec.

Comme cet événement au début des années 2000, cette tradition nous venant de l’Angleterre, qui a été formateur pour plusieurs. Le rendez-vous est relayé ici par l’animateur Alain Lalancette.

Au festival Virage, quelqu’un a dit cette phrase – était-ce Dalie Giroux ou Marie-André Gill : « Il faut être capable de se retrouver dans l’histoire longue de laquelle nous sommes issus, l’histoire longue dans laquelle nous nous inscrivons ». Ça, ça veut dire, entre autres, qu’il y a un récit à reprendre, à relais, entourant notamment la transition écologique et sociale. Ça veut donc dire de reprendre des phrases du passé, d’en refaire et d’achever ses phrases.

Pour creuser là où nous sommes… et penser, ensemble, les fabriques d’idées, les fabriques de récits, et je me répète, les fabriques d’archives.

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