Cher Jean-Philippe, que ces mots se rendent à toi aujourd’hui.
Je suis resté de mon côté de l’Atlantique, cet océan que tu as traversé, à chaque fois, pour venir parler archives, mémoires et engagements étudiants. En octobre 2018, lors de notre première rencontre à l’occasion du congrès de la Oral History Association à l’Université de Concordia; ensuite, en mai 2022 à la Librairie Saint-Jean-Baptiste et au congrès de l’Association des archivistes du Québec à Saint-Hyacinthe; en septembre de cette même année dans un colloque du Conseil international des archives portant sur les commémorations à l’Université de Montréal; Et l’été dernier, en juin 2023, à la conférence de l’Association canadienne des archivistes à Charlottetown, sur l’Île-du-Prince-Édouard.
À chaque fois un génie s’insinuait en toi et une imprévisible création de formes advenait. Tu nous à bien tenu en haleine tout ce temps, nous ignorions quels coups d’archives ou de commémoration tu allais jouer, quelles inventions théoriques tu allais nous présenter avec deux rapporteurs d’angles.
Le génie sorti de ton cerveau, Jean-Philippe, il nous a réveillés d’un long sommeil mémoriel et archivistique. Avec ta saisie de l’histoire, de son sens, tu as été un éveilleur persuasif qui nous a convaincus de la splendeur des archives et de la somme du travail à faire.
À 55 ans, dans la fleur de l’âge, on aurait pu dire de toi que tu étais un jeune chercheur. La vie active d’une personne qui pense, qui écrit, qui crée, me disait mon ancien directeur Olivier Clain, commence à peine dans la cinquantaine. C’est à ce moment que l’esprit s’est abstrait des considérations inutiles, impertinentes, et que les enjeux véritables peuvent être saisis avec les bons mots. Un peu comme le sont pour la philosophie Franck Fishbach ou Jean Vioulac, tu étais un jeune chercheur en archivistique et dans l’étude des mouvements étudiants.
Tu avais entendu l’appel de tes devanciers et devancières entourant les événements de mai 68 à Paris, comme quoi il fallait à tout prix en savoir plus sur ces événements de contestations étudiantes en contribuant à un « guide de source d’une histoire à écrire ». Ton ouvrage sur les 33 jours qui ébranlèrent la Sorbonne n’était qu’un début. Il fallait continuer le combat. Tu l’as fait, à ta manière, en publiant Les slogans de 68 à l’occasion du 50e anniversaire des événements.
Tu avais une compréhension de l’histoire, sachant très bien l’importance du mouvement étudiant dans l’histoire, comme un « catalyseur », un « excitant », une bougie d’allumage d’un mouvement social plus large, et ce, jusqu’au devenir politique de la société. Tu connaissais les menus détails de l’histoire de l’Union nationale des étudiantes de France (UNEF), des Étudiants socialistes unifiés (ESU), du Front universitaire antifasciste (FUA), du rôle des associations étudiantes sous l’Occupation et pendant la guerre d’Algérie.
Depuis ton érudition sans borne, tu as tracé un périmètre d’archives, clairement défini, celui des mémoires et des archives des contestations étudiants. Des chantiers d’archives orales que tu as menés à la Cité des mémoires étudiantes et dont tu as formalisé un discours théorique dans ta thèse soutenue ce mois-ci l’année dernière, tu as légué à tes contemporains le contour d’un puzzle, d’un casse-tête, à poursuivre.
Dès le premier contact à Montréal, tu es passé au rang d’ami. Notre correspondance a commencé à ce moment-là. Tu m’avais adopté dans ta communauté, en m’appelant « cher camarade », et tu te réjouissais de nos échanges entre « travailleurs intellectuels » de l’archivistique, une expression, comme tu me rappelais, qui est née dans les années 1930 et qui fut reprise dans la définition de l’étudiant, en 1946, dans la Charte de Grenoble.
D’ailleurs, Citoyen Legois, selon l’article 7 de cette charte, vous avez rempli les Droits et devoirs de l’étudiant en tant qu’intellectuel, car vous avez recherché, propagé et défendu la Vérité , en assumant « le devoir de faire partager et progresser la culture et de dégager le sens de l’histoire ».
Celles et ceux qui t’ont fréquenté, Jean-Philippe, ont été atteints, à un moment ou un autre – je ne sais trop comment la nommer – par une fièvre ou une fougue. Tu as insufflé ça chez nous. Et maintenant, c’est ce génie qui nous traverse, encore.
Le cahier des charges que tu nous as remis est clair. J’entends retentir ton invitation mainte fois répétée : « N’hésitez pas à participer à cette autre grande collecte, que vous ayez des archives ou simplement votre témoignage à confier ».
Ta parole, je l’ai enregistrée qu’une seule fois, en décembre 2022, en visitant la structure que tu as co-fondée, la Cité des mémoires étudiantes. Ma toute dernière question a été de te demander comment allait ton fils Victor, alors âgé de quelques semaines. Et tu m’as répondu qu’il allait très bien, en ajoutant accompagné d’une cascade de rire : « il a déjà le poing levé, sans influence… ».
Tu étais de ceux dont l’enthousiasme est contagieux.
Je garde ton rire aux creux de mes joues.
Et je seconde le proposeur Bérurier Noir.
Salut à toi.