J’ai reçu Karim Ouellet en entrevue en 2011 à l’émission Cultivons notre Hip-hop. J’ai cherché, mais je n’ai pas encore retrouvé l’enregistrement sonore de cette rencontre. Ce jour là, il m’a posé une question. En plus de sa musique, c’est tout ce qui me reste de lui.
Ce lundi le 17 janvier, le Québec a été bouleversé par la disparition de Karim Ouellet. Dans l’espace médiatique et sur les réseaux sociaux, on a vu déferler des messages soulignant les qualités de cet auteur-compositeur-interprète, son calme et sa douceur. Plusieurs personnes de la ville de Québec et par-delà ont partagé des souvenirs, des photos, leurs derniers moments avec cet artiste talentueux.
Le début de cette semaine-là a été marqué par cet événement, qui continue de résonner, et je revisitais ses deux premiers albums, Plume (2011) et Fox (2012). Je continuais mes activités de recherche, essayant de me tenir à l’écart des médias sociaux et des incessants messages qui y affluent.
Je me préparais tranquillement pour un entretien la semaine suivante avec le poète Jean Dorval. Sous les yeux, j’avais l’ouvrage de ce dernier, Haïku de foudre : La parole aux poètes, une publication regroupant la transcription d’une quinzaine d’émissions radiophoniques sur la culture du haïku diffusées à CKIA en 2004-2005.
La citation de Baudelaire retranscrite dans le livre de Jean Dorval me faisait penser à deux occurrences récentes de boîte vocale dans mes recherches radiophoniques. D’abord, la journaliste culturelle Émilie Rioux laissant des messages – des chroniques – sur la boîte vocale de Catherine Pogonat, messages qui sont radiodiffusés dans son émission sur Ici Musique. Puis, la voix de Marcel Arteau, un des fondateurs de Radio Basse-Ville, retrouvée il y a quelques semaines sur un répondeur; il disait vouloir se départir de ses documents d’archives. Pour moi qui s’intéresse aux archives et à la manière dont les documents sont produits, je me dis que d’une certaine manière, il y a là quelque chose, les boîtes vocales se répondent, les répondeurs se répondent.
Je poursuis ma lecture de la page 50, correspondant à la transcription de l’émission « Haïku de pinceau…du japonisme » datant du 5 décembre 2004, où il est question de Vincent Van Gogh et d’Arthur Rimbaud. Je connaissais très peu ce peintre et ce poète et j’ignorais leur date de naissance. Je savais encore moins que le premier s’était imprégné de peinture japonaise et que le second ficelait des vers qualifiés de « très haïkistes » par Jean Dorval. Je ne pars pas plus longtemps en pensées, je retourne au texte que je lisais et je m’arrête sur les années. Je commence à compter : 1890, 1853, 1891, 1854. L’opération de soustraction m’amène dans les deux cas au même résultat : 37. Ce qui me ramène à l’actualité médiatique, à la ville de Québec et à Karim Ouellet, lui aussi, décédé à l’âge de 37 ans.
Ce jeune artiste a fini sa vie à l’intérieur du studio l’Unisson, dans le quartier Saint-Roch, rue Saint-Anselme – une rue croisant celle où j’habite. Cette place dans le studio – là où l’on pose sa voix derrière un micro -, ce lieu où l’on se sent bien, l’artiste Webster en traite dans la pièce Quand je serai gone sur l’album Sagesse immobile. L’instrumental est paisible et Webster est sur le mode de la confession, il chante les messages qu’il veut transmettre à sa mère, à son père, à sa petite sœur, etc. lorsqu’il n’y sera plus – quand il sera gone :
« Qu’est-ce qui me console ? C’est d’être dans un studio devant une console
Si ce n’était pas du rap, c’est sûr que j’serai long gone
[…] Quoi que ce soit faut que ça change
Je suis ready faut que ça change »
J’essaie de me rappeler des moments où j’ai vu Karim Ouellet en concert, à la salle de spectacle du Cercle, au carré d’Youville pendant le Festival d’été de Québec. Nous l’avions également reçu dans le studio de CKIA, à l’époque où la radio était dans la côte d’Abraham. En cherchant ici et là, sur mes vieux disques durs, je n’ai pas retrouvé l’enregistrement de cet entretien que nous avions eu à l’émission Cultivons notre Hip-Hop avec mes comparses Brian et Audrey-Anne. J’essaie de me remémorer notre entretien sans contacter mes collègues de l’émission, je cherche ce qui me reste de cette rencontre.
Je trouve un échange de courriel avec la chargée de communication de l’artiste et un autre Bryan, responsable de la programmation à l’époque à Radio Basse-Ville. Je me rappelle très bien que Karim nous avait offert une prestation live, avec sa guitare.
Continuant de chercher, je finis par retrouver une playlist, dans un document avec le titre « 8 février 2011 » :
Rebel Diaz – Which side are you on
Shag – Orange
Webster – Quebec history X ft Karim Ouellet
Rebel Diaz – Free Again
Waldeck – memories
Socalled – you are never alone
Elaquent – one for blue
Oso Matli – don’t mess with the dragon
Rebel Diaz – Calma
Soulecltion – Crushin tablette
Tiken Jah Fakoly – Il faut se lever
J’ignore ce que j’ai pu lui poser comme question, en jeune apprenant du métier d’intervieweur que j’étais à cette époque. Comme la plupart des entrevues, les questions sont adressées dans un seul sens, l’entrevue radiophonique est ainsi unidirectionnelle – on interroge peu ou que très rarement l’intervieweur, la personne qui reçoit à son émission.
Après l’entretien avec Karim Ouellet, on est resté quelques minutes ensemble dans le studio. Il m’a dit qu’il avait bien apprécié la pièce qui avait joué avant qu’on entre en ondes. J’ignorais, jusqu’à ce que je retrouve la playlist il y a quelques jours, qui avait joué, mais je me souviens très bien de la question qu’il m’avait posée et du dédain qu’il avait exprimé du fait que je ne pouvais pas répondre à sa question.
Je lui avais dit que j’aimais découvrir des producteurs d’instrumentaux, des beatmakers, et qu’il y avait beaucoup de nouveauté sur le blogue Strictly beats. Je lui ai précisé que la pièce qui avait joué avant l’entretien était Orange de Shag. Et tout bonnement, Karim Ouellet me pose la question suivante : « d’où vient-il cet artiste, de quelle ville ? »
Incapable de répondre à brûle-pourpoint, de situer l’artiste, de dire d’où vient le beatmaker, dans quel écosystème il a grandi. J’avais senti une insatisfaction de la part de mon interlocuteur et le sentiment que connaître une personnalité artistique, c’était d’abord savoir d’où elle parle.
Ce jour où l’on a appris le décès de ce Québécois d’origine sénégalaise a passé et le surlendemain, Audrey-Anne, la co-animatrice de l’émission à l’époque m’a transmis ce message.
Ce clin d’œil, en référence aux morceaux Foudre et Karim et le loup, de celle qu’on surnomme affectueusement Dad m’a fait sourire. C’est elle qui m’a introduit à la culture Hip-Hop de la ville de Québec, à Accrophone, Boogat, KenLo le narrateur, Movèzerbe et bien d’autres.
Je me dis que si les artistes comme Sarahmée, Eman, Claude Bégin, Webster et compagnie ont autant de contenance, c’est, entre autres, parce que leur confiance a crû au côté et grâce à la stature d’un Karim Ouellet.
Hormis ces correspondances et le document word de la playlist, je n’ai pas (encore) retrouvé l’enregistrement sonore du 8 février 2011. Cette question de Karim, c’est peut-être tout ce qui me reste de lui : « d’où vient-il cet artiste, de quelle ville ? »
Je le vois encore marcher sur la rue Cartier.
Pas de doute, Karim Ouellet est un artiste de la ville de Québec.